Le contrôle du commerce des armes n'est pas une utopie

Opinion signée par Alain Bovard, juriste à la Section suisse d’Amnesty International, et parue le 14 février 2012 dans le quotidien Le Temps.
Alors que le commerce international des bois exotiques, celui des antiquités ou celui des écailles de tortues sont strictement contrôlés, il n’existe à ce jour aucune règle contraignante qui contrôle le commerce des armes conventionnelles. Un demi-million de civils victimes d'armes issues du commerce conventionnel

196_alain.jpg Alain Bovard, juriste à la Section suisse d'Amnesty International © AI

La dernière tentative d’établir un traité en la matière remonte aux années 20 et à la Société des Nations. Elle a échoué avec l’éclatement de la seconde guerre mondiale. Les gouvernements acceptent aujourd’hui sans états d’âme les transferts irresponsables d’armes vers des pays en guerre où leur utilisation engendre de graves violations des droits humains ou du droit international humanitaire.

Certains États se sont certes politiquement engagés à exercer un certain contrôle en adoptant les «Principes gouvernant les transferts d’armements de l’OSCE» ou encore l’arrangement dit de Wassenaar. Ces textes ne sont cependant pas contraignants et leur portée est relativement limitée.

Depuis plus de dix ans, la société civile, Amnesty International en tête, réclame à hauts cris la création d’un traité sur le commerce des armes. Ces appels ne sont pas restés vains puisque depuis l’adoption, en 2009, d’une résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies, un groupe de travail planche sur le sujet. Il se réunira dès le 13 février 2012 à New York, pour préparer une Conférence diplomatique qui devrait, en juillet 2012, adopter le texte final d’un traité qui empêchera, ou tout au moins, dans un premier temps, limitera les transferts internationaux d’armes et de munitions tels que ceux qui, aujourd’hui encore, alimentent la répression en Syrie ou dans d’autres pays du Moyen-Orient.

Création d'un traité soutenue par le Conseil fédéral

Le Conseil fédéral s’est engagé à soutenir la création d’un tel traité en acceptant en 2005 déjà un postulat du défunt Conseiller aux États Pierre-Alain Gentil. Il a jusqu’à aujourd’hui joué un rôle modeste dans les négociations, mais a soutenu la plupart du temps des options fortes visant à l’obtention d’un traité efficace. Il est à souhaiter qu’il maintienne ses positions et ne baisse pas les bras devant les pressions exercées par les gros producteurs d’armement que sont les États-Unis et la Russie, pour ne citer que ces exemples.

Pour qu’un traité soit efficace, il devra impérativement imposer une analyse scrupuleuse des risques comme préalable à toute autorisation, posséder un champ d’application le plus large possible, aussi bien en ce qui concerne les types d’armes visés que les modes de transferts. Il devra également comporter un système d’enregistrement des transactions et un mécanisme de contrôle.

Des réserves sur les droits humains seront émises par certains Etats

On s’attend au cours des mois à venir à ce que certains gouvernements cherchent à affaiblir sensiblement la portée du futur traité, notamment en excluant certains types d’équipements militaires ou certains types d’équipements utilisées par les forces de sécurité, alors même que ces armes sont connues pour être utilisées de manière illégale. Ces mêmes gouvernements  tenteront d’affaiblir la clause concernant les droits humains, de manière à ce que le risque substantiel de graves violations de ces droits n’entraîne pas obligatoirement l’interdiction d’un transfert international.

Les partisans d’un traité efficace devront donc rester vigilant s’ils veulent que la Conférence diplomatique qui se tiendra en juillet 2012 ne se transforme pas en un exercice alibi, mais débouche au contraire sur l’adoption d’un traité fort et efficace. Il leur faudra en particulier éviter de faire trop de concessions aux opposants au traité en caressant ainsi l’espoir qu’ils finissent par s’y rallier. Un traité non contraignant ou trop faible serait non seulement inutile, mais aurait un effet contraire à celui souhaité en légitimant certaines transactions.

On peut d’ores et déjà raisonnablement douter d’une adhésion des principaux producteurs mondiaux d’armement, à savoir la Russie et les États-Unis, au futur traité, quelles que soient sa forme et sa force. Un traité fort a cependant vocation à influer sur le commerce d’armes, même si certains États n’y participent pas. L’exemple des mines antipersonnel est à ce titre tout à fait significatif. Leur utilisation et leur fabrication sont en baisse constante depuis l’adoption de la Convention d’Ottawa alors même que les gros producteurs n’y ont pas adhéré.

On ne doit plus, alors que chaque année environ un demi-million de civils – un par minute - meurent dans le monde victimes d’une arme conventionnelle, permettre que les États continuent à les exporter sans aucun contrôle. On ne doit plus tolérer non plus que des États défavorisés consacrent à l’armement de leurs forces de sécurité des sommes parfois dix fois supérieures aux ressources allouées à l’éducation ou à la santé de leur population.

Un traité sur le contrôle des armes n’est sûrement pas une panacée, mais s’il est suffisamment fort il pourra contribuer grandement à améliorer la situation des droits humains dans le monde. C’est le défi que les États participant à sa rédaction se doivent de relever au cours des prochains mois.