Droit des femmes Interdire l’avortement, c’est infliger une double peine

Opinion signée par Manon Schick, directrice de la Section suisse d’Amnesty International, parue le 30 octobre 2012 dans le quotidien 24 Heures.
C’est à se demander ce que les Etats-Unis ont à envier à l’Iran des ayatollahs. Qu’un candidat républicain au Sénat, Richard Mourdock, puisse encore, en ce début de 21 e siècle, prétendre que «même lorsque la vie commence dans cette situation horrible qu'est le viol, c'est quelque chose que Dieu a voulu», nous renvoie illico plusieurs décennies en arrière.

196_manon.jpg Manon Schick, directrice de la Section suisse d’Amnesty International, dénonce une mise au placard des droits humains par M. Burkhalter. © AI

Richard Mourdock semble avoir un accès direct à Dieu, puisqu’il peut parler en son nom et dire ce que veut le Tout-puissant. Quant à moi, j’ai l’espoir qu’aucun dieu ne cautionne le viol ou l’inceste. Je considère qu’imposer à une femme ou une jeune fille violée de mener une grossesse à terme revient à lui faire subir une deuxième peine, en plus de l’outrage qu’elle a enduré. Un double châtiment pour une personne innocente, quel dieu pourrait accepter cela ?

J’ose espérer que Richard Mourdock n’aurait pas le cynisme d’aller défendre sa position devant les centaines de milliers de femmes violées en République démocratique du Congo, au Rwanda ou en ex-Yougoslavie, et de leur expliquer que leur grossesse est un cadeau de son Dieu. Ces femmes qui n’ont la plupart du temps pas eu accès à un avortement quand elles se sont retrouvées enceintes, qui ont été rejetées par leur famille et doivent survivre dans la misère avec leur « enfant de la haine ».

Le viol est utilisé en temps de guerre comme un moyen stratégique pour humilier et déshumaniser. Une «arme de guerre» qui a pour but de détruire les femmes physiquement et moralement, et avec elles, la société qui les entoure. En temps de paix, un viol entraîne également de lourdes conséquences psychologiques pour la victime. Dans ces conditions, ne pas laisser à une femme enceinte suite à un viol le choix de mener ou non sa grossesse à terme relève tout simplement de la barbarie.

Chacun et chacune a le droit de suivre les principes fixés par sa religion. Mais personne ne devrait pouvoir imposer à autrui des principes qui entravent sa liberté de disposer de son corps. Il n’y a malheureusement pas qu’aux Etats-Unis que les mouvements anti-avortement se font à nouveau entendre. Dans notre pays aussi, les milieux ultra-conservateurs tentent de remettre en cause l’interruption volontaire de grossesse : nous voterons sans doute l’année prochaine sur une initiative populaire qui vise à supprimer le remboursement de l’avortement par l’assurance maladie de base.

En Suisse comme aux Etats-Unis, une femme qui avorte ne le fait pas de gaieté de cœur. Il est indispensable de lui garantir ce droit, tout en fixant un cadre légal et des mesures d’information, de prévention et d’accès à la contraception, de façon à éviter si possible qu’elle ne se retrouve devant un tel dilemme. Souhaitons que les citoyens suisses et américains s’en souviennent lorsqu’ils seront appelés aux urnes.