Suisse La condamnation à mort est une peine abjecte et inutile

Opinion signée par Manon Schick, directrice de la Section suisse d’Amnesty International, parue le 3 avril 2012 dans le quotidien 24 Heures.
Comment pourrais-je oublier cette femme? Elle se nommait Sunny mais lors de sa conférence à l’Université de Lausanne, l’ambiance était tout sauf rayonnante.

manon.jpg «Tuer pour montrer qu’il ne faut pas tuer? Abject et inutile.», affirme Manon Schick, directrice de la Section suisse d’Amnesty International. © AI

C’était il y a douze ans: cinq cent personnes massées dans un auditoire avaient les larmes aux yeux à l’écoute du témoignage de cette survivante.

Car c’est bien d’une survivante qu’il s’agissait. Sunny a passé cinq ans dans le couloir de la mort en Floride, condamnée à la peine capitale en même temps que son mari, pour un crime que ni elle ni lui n’avaient commis. Et si sa peine a été commuée en détention à vie, son mari, lui, a été exécuté sur la chaise électrique. Sunny n’a dû sa libération qu’aux aveux du véritable assassin. Depuis, elle parcourt le monde et donne des conférences contre la peine de mort. Le seul récit de son expérience suffit à convaincre les indécis.

Bonne nouvelle pour Sunny et pour tous les opposants à la peine capitale: celle-ci est en voie d’extinction. Les statistiques annuelles sur la peine de mort dans le monde, publiées la semaine dernière, montrent que la tendance à l’abolition s’affirme: 141 pays ont aboli la peine de mort dans leur loi ou dans la pratique. Il y a 35 ans, lorsqu’Amnesty International a lancé sa campagne contre la peine de mort, le monde ne comptait que 16 Etats abolitionnistes.

Aujourd’hui, une vingtaine de pays isolés seulement s’accrochent encore à la peine capitale: la Chine en tête, dont les statistiques sont classées secret d’Etat, suivie notamment par l’Iran, l’Arabie saoudite, la Corée du Nord, l’Irak, la Somalie et le Yémen. La plupart des pays ont renoncé à ce châtiment. L'Illinois, aux Etats-Unis, est devenu le seizième Etat américain à abolir la peine de mort; il pourrait bientôt être suivi par l'Oregon qui vient d’instaurer un moratoire sur les exécutions.

Plusieurs cas d’erreurs judiciaires ont relancé le mouvement en faveur de l’abolition. Dans l’Etat américain de Géorgie, l’exécution en septembre dernier de Troy Davis, malgré les doutes importants qui persistaient sur sa culpabilité, a déclenché une vague d’indignation à travers le monde entier. Troy Davis a déclaré peu avant son exécution: «Le combat pour mettre fin à la peine de mort n'est pas gagné ou perdu à travers moi. N’arrêtez jamais de lutter pour la justice et nous vaincrons!»

En Suisse, où la peine de mort a été bannie pour les crimes de droit commun dès 1938, divers groupes de citoyens essaient régulièrement de ramener le débat sur la place publique. Sunny, elle, a la décence de considérer la peine de mort comme inadmissible en toutes circonstances, y compris pour les personnes coupables de crimes odieux. Parce que c’est le principe même de la peine capitale qu’il faut rejeter. Tuer pour montrer qu’il ne faut pas tuer? Abject et inutile.