Suisse Un sponsor embarrassant pour le Montreux Jazz

Opinion signée par Manon Schick, directrice de la Section suisse d’Amnesty International, parue le 2 mai 2012 dans le quotidien 24 Heures.
Les sponsors apportent de l’argent, mais parfois aussi des ennuis.

manon_opinion.jpg Manon Schick, directrice d’Amnesty International Suisse. © AI

Le Festival de Jazz de Montreux en a fait récemment l’expérience. L’un de ses principaux partenaires, Socar, compagnie pétrolière étatique en Azerbaïdjan, s’est probablement rendue coupable de graves atteintes aux droits humains, ce qui pourrait rejaillir négativement sur l’image de marque du festival.

Le 18 avril 2012, des collaborateurs de Socar ont activement pris part à une expulsion forcée et à la destruction de nombreuses maisons à Sulutepe, dans la banlieue de Bakou, la capitale. La compagnie pétrolière envisage de bâtir des installations pétrolières dans la zone «nettoyée». Des journalistes azerbaïdjanais qui se sont rendus sur place pour filmer la scène ont été violemment agressés et ont dû être transportés à l’hôpital.

Informée de ces événements, Amnesty International a écrit au Festival de Jazz pour demander d’intervenir auprès de Socar et de réclamer une enquête. Du côté de Montreux, la réaction n’a pas tardé. Claude Nobs, directeur du Festival de Jazz, a immédiatement contacté Socar et nous a communiqué qu’une enquête était en cours. Nous avons des doutes sur l’indépendance totale de cette enquête, étant donné que Socar est une entreprise étatique, mais il est intéressant de constater qu’une investigation a aussitôt été lancée.

Quand une institution culturelle telle que le Montreux Jazz interpelle l’un de ses sponsors, la pression est bien plus grande que si Amnesty demande une enquête. Depuis des années, nous dénonçons les restrictions massives de la liberté d’expression en Azerbaïdjan et le fait que de très nombreuses personnes sont en prison pour avoir réclamé plus de liberté sur les réseaux sociaux et sur internet. Nous obtenons parfois la libération de prisonniers d’opinion, par exemple celle du jeune blogueur Jabbar Savalan en décembre 2011, mais nous ne recevons que rarement des réponses à nos interpellations de la part du gouvernement.

La pression exercée par le Montreux Jazz Festival est donc extrêmement précieuse. C’est particulièrement vrai à quelques semaines du Concours Eurovision de la chanson qui aura lieu fin mai 2012 à Bakou. Les autorités azerbaïdjanaises tentent de redorer le blason de leur pays et sont donc plus que jamais sensibles à la critique.

Nous allons en profiter pour maintenir la pression. Le groupe tessinois qui va représenter la Suisse à l’Eurovision, Sinplus, a accepté de relayer sur facebook notre appel à la libération des prisonniers d’opinion en Azerbaïdjan. A n’en pas douter, le concours Eurovision et le Montreux Jazz Festival pourraient bien rester en travers de la gorge des autorités azerbaïdjanaises, si elles ne prennent pas rapidement des mesures pour améliorer la situation des droits humains.