Droits sexuels et reproductifs Beatriz ou l’hypocrisie autour d’un avortement

Opinion signée par Manon Schick, directrice de la Section suisse d’Amnesty International, parue le 11 juin 2013 dans le quotidien 24 Heures.
Alors qu’elle est enceinte de quatre mois, Beatriz, une jeune femme de 22 ans, apprend qu’elle souffre de plusieurs affections graves. La poursuite de la grossesse pourrait la tuer à tout moment.

196_manon.jpg Manon Schick, directrice de la Section suisse d’Amnesty International © AI

Son fœtus est mal formé: il lui manque une partie du crâne et du cerveau, ce qui signifie qu’il n’a aucune chance de survivre après sa naissance.

En Suisse, les médecins auraient conseillé à Beatriz un avortement thérapeutique, pour sauver la vie de la jeune mère. Mais Beatriz ne vit pas ici, elle est Salvadorienne. En mars dernier, quand les médecins qui s’occupent d’elle jugent que sa grossesse la met en danger, ils demandent l’autorisation de procéder à un avortement pour la sauver. Ils savent que sans cela, ils risquent d’être condamnés, car la loi salvadorienne interdit expressément tout avortement.

Début mai, Amnesty a lancé une campagne de soutien en faveur de Beatriz et demandé aux autorités d’autoriser cet avortement. Plus de 170'000 signatures ont été récoltées à travers le monde et envoyées au président du Salvador. L’affaire est allée jusqu’à la Cour suprême. Fin mai, les juges ont refusé à Beatriz le droit d’avorter.

Mais après quatorze semaines d’attente interminable, elle a enfin obtenu le droit à une césarienne, ce qui a entraîné la mort du fœtus. Quelle hypocrisie! Une césarienne était acceptable pour les autorités, alors qu’elles refusaient un avortement, qui aurait pourtant conduit au même résultat.

Le Salvador n’est pas le seul Etat à avoir une législation extrêmement restrictive. Dans plusieurs pays d’Amérique centrale et latine, l’interruption de grossesse est passible d’une peine de prison ferme. Des femmes qui ont besoin de soins urgents après des avortements pratiqués dans la clandestinité se voient refuser l’entrée dans les hôpitaux.

Les Nations unies préparent actuellement la révision du Programme d’action du Caire de 1994 pour la population et le développement, qui met justement l’accent sur les droits sexuels et reproductifs. Une conférence régionale aura lieu en juillet à Genève. Il est essentiel que ce programme en sorte renforcé, car des retours en arrière sont aussi à craindre dans les pays européens, notamment en Suisse : deux initiatives populaires qui visent à limiter l’éducation sexuelle ou à interdire totalement les interruptions de grossesse sont au stade de la récolte de signatures.

Le Programme d’action du Caire affirmait pour la première fois que les droits reproductifs sont des droits humains et que les Etats ont l’obligation de veiller à ce que chacun·e puisse librement, sans aucune contrainte ou discrimination, obtenir des informations sur la sexualité et la contraception, décider d'avoir ou non des enfants, et avoir accès à des services de santé. Un texte historique que certains Etats voudraient aujourd’hui reléguer aux oubliettes. Ne les laissons pas nous priver de ces droits!