La souveraineté, une mauvaise excuse

Opinion signée par Manon Schick, directrice de la Section suisse d’Amnesty International, parue le 28 mai 2013 dans le quotidien 24 Heures.
Depuis plus de deux ans maintenant, la communauté internationale assiste les bras croisés au drame qui se déroule en Syrie. En refusant d’agir au moment où cela aurait pu avoir un impact, elle a laissé dégénérer le conflit. La conférence internationale qui se réunira à Genève en juin aura fort à faire pour tenter de trouver une sortie à cette crise.

196_manon.jpg Manon Schick, directrice de la Section suisse d’Amnesty International © AI

La passivité du Conseil de sécurité de l’ONU est coupable. Le conflit a débuté par la répression d’une manifestation pacifique à Deraa, organisée pour protester contre l’arrestation arbitraire d’enfants qui avaient sprayé des slogans hostiles au gouvernement sur les murs de la ville. Les forces de sécurité syriennes ont ouvert le feu contre des personnes non armées, et la Syrie entière s’est embrasée en quelques mois.

Deux ans plus tard et malgré un bilan de plus de 70'000 morts, selon les estimations de l’ONU, les forces gouvernementales continuent de bombarder les civils, en recourant à des armes ou des pratiques interdites au niveau international, comme des bombes à sous-munitions ou des bombardements sans discernement. Les prisonniers qu'elles détiennent sont systématiquement soumis à la torture, victimes de disparitions forcées ou d’exécutions extrajudiciaires.

Les groupes armés de l'opposition, eux, recourent de plus en plus aux prises d'otages, ainsi qu'à la torture et aux exécutions sommaires de soldats et de civils capturés. Des mercenaires viennent de l’étranger pour combattre à leurs côtés, certains pays leur livrent des armes, tandis que la Russie poursuit ses livraisons d’équipements militaires au gouvernement de Bachar el Assad.

Combien faudra-t-il encore de morts de civils pour que le Conseil de sécurité de l’ONU saisisse enfin la Cour pénale internationale et que les responsables de ces crimes insupportables soient traduits en justice? Combien de morts jusqu’à ce que l’on stoppe les livraisons d’armes? Combien de millions supplémentaires de réfugiés jusqu’à ce qu’enfin la Russie et la Chine lâchent leur allié?

Ces pays invoquent régulièrement la «souveraineté», c’est-à-dire la non-ingérence dans les affaires internes d’un Etat, pour justifier leur veto à toute résolution du Conseil de sécurité. Mais peut-on invoquer la souveraineté quand un gouvernement massacre sa population, quand un pays s’embourbe dans un conflit aussi meurtrier, quand des enfants sont torturés ou recrutés comme soldats?

Le conflit syrien n’est pas une affaire interne à la Syrie. Il s’agit d’une crise internationale, ne serait-ce que parce que plus de 1,5 million de personnes ont franchi la frontière et se sont réfugiées en Turquie, au Liban et en Jordanie. Même si on fermait les yeux sur ce qui se passe à l’intérieur des frontières syriennes, la crise humanitaire à laquelle sont confrontés les réfugiés syriens exigerait au minimum une condamnation ferme des violations commises par toutes les parties au conflit. La passivité au nom du respect de la souveraineté des Etats est inexcusable.