Mettre les sans-papiers en prison, une idée absurde

Opinion signée par Manon Schick, directrice de la Section suisse d’Amnesty International, parue le 14 mai 2013 dans le quotidien 24 Heures.
Des sans-papiers sont condamnés à des peines de prison ferme et passent deux mois derrière les barreaux à Genève, sans avoir commis d’autre délit que celui de ne pas disposer d’un titre de séjour valable en Suisse.

196_manon.jpg Manon Schick, directrice de la Section suisse d’Amnesty International © AI

Ils représenteraient environ 12% des détenus dans les prisons genevoises. Cette révélation entendue hier matin sur les ondes de la Radio Télévision Suisse m’a fait bondir.

A l’heure où les prisons – et surtout à Genève – débordent, il serait plus sensé de ne pas les surcharger davantage avec des personnes n’ayant commis que des délits de type administratif et de cibler plutôt les dealers, les violeurs, les hommes qui frappent leur femme, bref, les personnes qui ont commis un délit pénal et qui, pour certaines, échappent parfois à la détention ferme en bénéficiant d’un sursis.

Indépendemment de la capacité des prisons, il faut se poser la question de la légitimité d’une telle mesure. Bien sûr, le fait de travailler en Suisse sans permis valable est punissable. Mais le fait d’employer des sans-papiers pour un travail au noir l’est également.

Les agriculteurs qui recourent à cette main-d’œuvre bon marché, les parents qui emploient des nounous équatoriennes, les restaurateurs qui confient la plonge ou le service à des Sri Lankais sans papiers seront-ils également poursuivis par le procureur genevois et condamnés à deux mois de prison ferme ? Ils côtoyeraient ainsi leurs employés en cellule… La plupart du temps, les employeurs de sans-papiers sont condamnés à une forte amende. Mais leur délit est-il vraiment moins grave que celui commis par leurs employés ? Sommes-nous face à un cas patent de justice à deux vitesses ? Dans leur volonté de se montrer fermes face à tout délit, les autorités genevoises semblent avoir perdu le sens des proportions.

N’oublions pas que dans bon nombre de cas, les sans-papiers contrôlés par la police finissent par être expulsés vers leur pays d’origine. Leur faire purger une peine de prison ferme avant leur expulsion revient à les condamner à une double peine. Et si l’objectif est d’éviter qu’ils ne récidivent et ne reviennent en Suisse pour y travailler, peut-être vaudrait-il aussi la peine de se demander comment inciter les patrons à ne plus engager de sans-papiers.

On est malheureusement bien loin de l’époque où le Conseil d’Etat genevois, uni derrière Martine Brunschwig Graf, réclamait à Berne la régularisation des 6000 sans-papiers qui résidaient dans le canton. Personnel de maison ou d’ambassade, petites mains dans l’agriculture ou la restauration : autant de gens qui auraient pu, grâce à cette mesure, mieux défendre leurs droits vis-à-vis d’employeurs qui exploitent parfois leur détresse. La Berne fédérale est malheureusement restée sourde à cette revendication audacieuse.