La nouvelle est préoccupante à plus d’un titre. Comme l’ont relevé Philippe Bach (Le Courrier) et Michel Audétaz (Le Matin Dimanche), derrière le fichage ADN des requérants d’asile se profile l’extension de cette pratique à d’autres groupes de la population. Cela pose la question de la protection de la sphère privée et, in fine, du type de société dans laquelle nous sommes prêts à vivre. La mesure est clairement discriminatoire, car les requérants de certaines nationalités seraient seuls soumis à un prélèvement systématique de leur ADN, alors que d’autres groupes de la population ou groupes d’âge chez lesquels on relève un fort taux de criminalité ne le seraient pas.
La motion est également disproportionnée puisqu’elle propose de procéder à l’établissement de profils d’ADN non pas sur des individus suspectés d’un crime ou d’un délit, mais à titre préventif et de manière systématique sur certaines catégories de requérants d’asile, au motif qu’ils pourraient commettre des actes de délinquance après leur arrivée en Suisse. Cette mesure d’identification, de nature policière, est contraire au principe de proportionnalité prévu par la Constitution fédérale (article 36, alinéa 3).
Une mesure disproportionnée et peu efficace
Un simple regard sur les chiffres révèle à quel point l’adoption d’une telle motion serait exagérée. Selon les statistiques policières les plus récentes, en 2012, 13% des requérants d’asile ont été accusés d’un délit, soit 5875 personnes sur un total de 44 863 requérants d’asile. Les infractions telles que l’entrée illégale sur le territoire sont comptabilisées dans ces statistiques, ce qui élève d’emblée le pourcentage de délits commis par des étrangers en comparaison des Suisses.
Bien sûr, la criminalité des requérants d’asile comme celle d’autres catégories de la population ne doit pas être tolérée. Mais ce n’est certainement pas cette mesure isolée de fichage préventif de l’ADN qui permettra de la combattre de manière efficace. Il faudrait réformer la justice de telle sorte qu’elle soit en mesure d’incarcérer les personnes qui commettent des délits. Des accords de réadmission solides devraient faciliter le renvoi des demandeurs d’asile criminels dans leur pays. Une analyse sérieuse des raisons qui poussent certains demandeurs d’asile vers la délinquance devrait être menée et déboucher sur la mise en place de programmes d’occupation.
La politique d’asile actuelle isole totalement les requérants, leur refuse toute occupation et les maintient dans une situation financière précaire, particulièrement pour ceux qui sont placés à l’aide d’urgence. Les demandeurs d’asile ne sont pas autorisés à travailler en Suisse, et ils passent la majeure partie de leur temps à attendre leur renvoi. Ils sont nombreux à plonger tôt ou tard dans la clandestinité. Dès lors, il est peu surprenant qu’ils commettent des déprédations ou des vols, ou qu’ils se livrent au trafic de stupéfiants.
Instrumentalisation politique: un phénomène européen
Evidemment, ce dernier type de mesures ne flatte pas autant les sentiments xénophobes d’une partie de l’électorat que le PDC souhaiterait ravir à l’UDC. L’instrumentalisation politique des thèmes des migrations et de l’asile chers à l’extrême droite par la droite classique est un phénomène pratiqué fréquemment à l’échelle européenne. L’exemple le plus connu est peut-être Le Discours d’Orléans de Jacques Chirac, dans lequel celui qui était alors maire de Paris évoquait, entre autre tares naturelles attribuées aux immigrés noirs et musulmans, «le bruit et l’odeur». Cette dérive populiste entache le bilan politique des hommes et des femmes qui s’y laissent prendre.
Des études ont montré que la manière dont l’Etat oriente ses politiques exerce une influence considérable sur les manifestations d’antipathie envers les étrangers.
Elle est de plus extrêmement dommageable, car elle ne fait pas que flatter les sentiments xénophobes d’une partie de l’électorat: en légitimant ces sentiments, elle les alimente. Des études, notamment celles du sociologue français Michel Wieviorka, ont montré que la manière dont l’Etat oriente ses politiques et la façon dont il organise le fonctionnement d’institutions telles que la justice, la police, ou l’école publique exercent une influence considérable sur les manifestations d’antipathie envers les étrangers. Cette influence est encore plus importante lorsqu’il s’agit des politiques relatives aux étrangers.
Banaliser la mesure proposée par Christophe Darbellay serait d’autant plus dangereux que l’homme est auréolé d’une certaine respectabilité associée à la droite classique. La bonne santé d’une société démocratique se mesure aussi à sa capacité à remettre en cause ce type de propositions. Il faut donc prendre au sérieux cette motion, la rejeter fermement et faire en sorte qu’elle ne passe pas la rampe du Conseil des Etats.