Repenser la politique migratoire européenne Du marathon de Lausanne à Lampedusa

Opinion signée par Manon Schick, directrice de la Section suisse d’Amnesty International, parue le29 octobre 2013 dans le quotidien 24 Heures.
J’ai voulu tester mon endurance en m’inscrivant au semi-marathon de Lausanne, dimanche dernier. Quelle épreuve ! J’ai passé toute la course à calculer à quelle vitesse courait celui qui allait ...

Manon Schick Manon Schick, directrice d’Amnesty International Suisse. | © AI

J’ai voulu tester mon endurance en m’inscrivant au semi-marathon de Lausanne, dimanche dernier. Quelle épreuve ! J’ai passé toute la course à calculer à quelle vitesse courait celui qui allait remporter la compétition. La réponse est toute simple : deux fois plus vite que moi.

Etonnamment, ce n’est pas un Africain qui est monté sur la première marche du podium, mais un Ukrainien. Le deuxième est Erythréen. Dans les autres catégories, les Kenyans et les Ethiopiens ont aussi brillé, comme souvent dans les courses d’endurance. Ils ont franchi la ligne d’arrivée sous les vivats du public vaudois.

Je ne peux m’empêcher de penser que ce ne sont pas des vivats qui attendent les migrants en provenance des mêmes pays lorsqu’ils débarquent par milliers à Lampedusa. Certes, les habitants de cette île font leur possible pour les accueillir avec humanité et dignité. Mais les autorités italiennes pratiquent ce qu’on appelle les « push-back » : les garde-côtes interdisent aux bateaux d’accoster et les renvoient en direction de la Libye. Cela se produit tout le long des côtes européennes, sur prescription de Bruxelles.

Combien de gens sont morts durant ces traversées périlleuses de la mer Méditerranée ? Le naufrage survenu au début du mois à Lampedusa, durant lequel ont péri 366 migrants, a mis en lumière un phénomène qui se produit malheureusement de façon récurrente. On dénombre plus de vingt mille morts en vingt ans, et ce sont là uniquement les cas recensés.

Parmi ceux qui meurent en mer, il y a parfois aussi des athlètes. En avril 2012, la Somalienne Samia Yusuf Omar, qui avait couru le 200 mètres aux Jeux olympiques de Pékin, aurait disparu en mer lors du naufrage du bateau clandestin qui transportait des migrants vers l’Italie. Voulait-elle tenter de rejoindre l’Angleterre pour participer aux Jeux de Londres ? Nul ne le saura jamais.

Face à ces tragédies, la Suisse ne peut pas rester les bras croisés. Nos autorités ne peuvent pas se décharger de toute responsabilité sous prétexte que nous n’avons pas à faire face au même afflux de migrants que l’Italie ou la Grèce. Tous les pays européens doivent repenser ensemble la politique migratoire européenne et obliger les Etats à être solidaires entre eux.

Les politiques restrictives ne dissuadent pas les migrants d’essayer d’atteindre notre continent. Elles ne font que les forcer à choisir des itinéraires plus dangereux et les poussent à confier leur sort à des passeurs. Il est urgent que l’Union européenne modifie ses pratiques. Jusqu’à aujourd’hui, elle a systématiquement exclu les droits des migrants du cœur de ses politiques. Elle a alloué davantage de ressources au contrôle de ses frontières extérieures qu’à la protection de la vie des migrants.

Rappelons-nous que les migrants sont des êtres humains, qu’ils ont une histoire, une famille, et qu’ils aiment parfois aussi courir le dimanche.