Shell sur le banc des accusés

Opinion signée par Manon Schick, directrice de la Section suisse d’Amnesty International, parue le 5 février 2013 dans le quotidien 24 Heures.
La semaine dernière, une décision de la justice hollandaise est passée presque inaperçue. Pourtant, elle montre qu’il est possible d’obtenir justice quand on s’oppose à une multinationale, même si le parcours est semé d’embûches.

196_manon.jpg Manon Schick, directrice de la Section suisse d’Amnesty International © AI

Quatre paysans nigérians ont porté plainte contre le géant pétrolier Shell, car des fuites de pétrole ont complètement détruit leurs moyens de subsistance. Le tribunal a tranché en faveur d’un seul des plaignants, en statuant qu'il incombait à Shell d'intervenir pour empêcher l'altération de ses oléoducs. La filiale de la compagnie hollandaise va donc devoir indemniser ce paysan.

Shell a toujours prétendu que c’étaient le sabotage de ses installations et le vol de pétrole qui causaient la plus grande partie de la pollution dans le delta du Niger. Une affirmation contredite par les communautés vivant sur place et par Amnesty International : de nombreuses fuites de pétrole sont liées à la vétusté et au mauvais entretien des oléoducs.

Le fait que les trois autres plaignants aient été déboutés illustre bien les immenses obstacles auxquels font face les habitants lésés. C’est leur responsabilité de prouver que la pollution est liée à une défaillance opérationnelle et non pas au sabotage, ce qui est pratiquement mission impossible. Le tribunal s’est basé sur les investigations menées par Shell. Des enquêtes contestables, en raison d’un évident conflit d’intérêt.

La décision de la justice hollandaise est une petite victoire dans la grande bataille pour obtenir justice dans les cas d’atteintes à l’environnement et aux droits humains par des entreprises. La Suisse est particulièrement concernée : notre pays abrite le plus grand nombre de multinationales par habitant au monde. Dans notre pays également, les obstacles à la justice pour les plaignants domiciliés dans les pays hôtes, où sont extraites les matières premières, sont presque insurmontables.

De même que pour Shell au Nigéria, il n’est pas possible de rendre la société-mère responsable des abus commis par une filiale, en raison de la séparation juridique entre les deux entités. Seules des normes contraignantes pourraient obliger ces entreprises à respecter les droits humains et l’environnement. La bonne volonté de certaines d’entre elles ne suffit pas ; d’autres continueront à commettre des abus, en toute impunité.

Une pétition signée par plus de 135'000 personnes a été déposée l’été dernier auprès du Conseil fédéral et du Parlement, pour demander des règles contraignantes pour les multinationales. Alors que certains pays sont déjà en train d’élaborer des projets de lois, notre gouvernement refuse même d’admettre que les règles volontaires sont insuffisantes.

Dommage! C’est sans doute positif pour notre pays de serrer la main des chefs d’entreprise à Davos, mais ce serait mieux encore de s’assurer qu’ils ont les mains propres.