Suisse Tuer pour montrer qu’il ne faut pas tuer?

Opinion signée par Manon Schick, directrice de la Section suisse d’Amnesty International, parue le 1er octobre 2013 dans le quotidien 24 Heures.
Le 10 octobre prochain, la Journée mondiale de la peine de mort sera tristement marquée par les débats en cours dans notre pays. Quand j’entends des politiciens romands appeler au rétablissement de la peine capitale, je pense à trois femmes admirables dont les témoignages, lors de conférences à Lausanne, m’ont bouleversée. Toutes les trois ont vu leur vie broyée et ont malgré tout mené un combat sans relâche contre ce châtiment.

Manon Schick Manon Schick, directrice d’Amnesty International Suisse. | © AI

Sunny Jacobs et son mari avaient été condamnés à mort aux Etats-Unis, avant d’être reconnus innocents. Trop tard pour le mari de Sunny, qui avait déjà été exécuté. Martina Davis Correia s’est battue sans relâche pour que l’innocence de son frère Troy Davis soit reconnue. En vain, puisqu’il a été exécuté il y a une année. Aba Gayle a perdu sa fille, assassinée par un homme auquel elle a pardonné, allant même jusqu’à se mobiliser contre son exécution et à créer une association de proches de victimes qui s’opposent à la peine de mort.

On peut comprendre que des proches de victimes de crimes veuillent se venger. Chacun d’entre nous réagirait sans doute «avec ses tripes» si quelqu’un attaquait sa famille. C’est pour éviter ce genre de règlement de comptes que la justice et l’Etat de droit sont essentiels : les proches peuvent ainsi faire leur deuil tandis que la justice poursuit et emprisonne les coupables.

Mais la justice n’a pas pour tâche de mettre à mort. En exécutant les coupables, elle se comporte comme ceux qui ont commis un meurtre. Un Etat ne peut pas tuer pour montrer qu’il ne faut pas tuer. D’ailleurs, la peine capitale n’a aucun effet dissuasif : les pays qui l’ont maintenue ou réintroduite ne connaissent pas de baisse de la criminalité. Au contraire, ce châtiment rend la société plus brutale, en relativisant l’importance de la vie humaine.

La peine de mort est irrévocable : aux Etats-Unis, plus de 120 condamnés à mort ont été finalement innocentés et libérés des couloirs de la mort. Mais combien d’innocents ont-ils été exécutés ? La peine de mort est discriminatoire : elle est utilisée de manière disproportionnée contre des gens pauvres ou des personnes appartenant à une minorité. Aux Etats-Unis, la part des Afro-Américains condamnés à cette peine est supérieure à la moyenne. En Arabie Saoudite, elle touche avant tout les travailleurs et travailleuses étrangers.

C’est irresponsable de proposer la réintroduction de la peine capitale. Heureusement, la majorité des Etats ont suivi la tendance abolitionniste ces dernières décennies, et seule une poignée de pays l’appliquent encore aujourd’hui. La Suisse irait à contre-courant en rejoignant l’Iran, la Chine ou les Etats-Unis dans le club des Etats tueurs.

Je souhaite à chacun d’avoir un jour la chance d’entendre le témoignage d’une Sunny, une Martina ou une Aba, et de se rendre compte que la peine de mort, quel que soit le crime odieux qu’elle est censée punir, n’est jamais la solution.