Chine Tiananmen, le droit à la mémoire

Opinion signée par Manon Schick, directrice de la Section suisse d’Amnesty International, parue le 26 mai 2014 dans le quotidien 24 Heures.
C’était il y a 25 ans mais je m’en rappelle comme si c’était hier: au téléjournal le dimanche 4 juin, après avoir présenté les résultats des votations en Suisse, le journaliste de la Télévision Suisse Romande annonçait que l’armée chinoise avait envahi la place Tiananmen à Pékin et que les morts et les blessés parmi les étudiants se comptaient par centaines, voire par milliers. Les images, elles, sont arrivées quelques jours plus tard, notamment celles de cet homme qui arrête une colonne de chars.

140101_Manon Schick (c) Christian Rochat.jpg Par Manon Schick, directrice d’Amnesty International Suisse

Un inconnu devenu célèbre dans le monde entier. Qu’est-il devenu? A-t-il été exécuté ou est-il toujours vivant, comme le prétend la rumeur? Où sont aujourd’hui les survivants parmi les étudiants et les ouvriers qui dénonçaient la corruption du régime communiste et demandaient des réformes politiques et démocratiques? Combien sont morts sous les balles des 250'000 soldats envoyés pour mater les manifestants?

Chaque année, le 4 juin se déroule sous haute surveillance en Chine. Interdiction de mentionner ces événements sur Internet ou les réseaux sociaux, interdiction de commémorer, interdiction pour les mères qui ont perdu leur enfant de déposer une rose sur la place Tiananmen.

Cette année, à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de ce massacre, la répression s’amplifie encore davantage. Ces dernières semaines, plusieurs dizaines de personnes ont été arrêtées par la police chinoise, interrogées, mises en détention ou en résidence surveillée. Certaines ont même disparu. Parmi elles, des mères de victimes qui ont fondé les Tiananmen Mothers, des avocats, des écrivains, des personnes qui avaient manifesté il y a 25 ans et qui ont déjà passé des années derrière les barreaux en raison de ce seul «crime».

Sans parler de Liu Xiaobo, lauréat du prix Nobel de la paix en 2010, professeur d’université qui avait participé à une grève de la faim en 1989 pour dénoncer la répression contre les étudiants, et qui purge actuellement une peine de 11 ans de prison.

Les Chinois qui sont nés après l’écrasement du printemps de Pékin ne savent rien de ce qui est arrivé en 1989. Aucun livre d’histoire n’en parle. Ils n’ont jamais vu les images de ce jeune homme qui défiait les chars, ni celles des manifestants assis sur la place centrale de Pékin. Une Chinoise qui étudie à Lausanne me disait le week-end dernier son agacement à voir la censure qui règne dans son pays. Les seules informations dont elle avait eu connaissance sur les événements de Tiananmen venaient de médias étrangers.

Le gouvernement chinois a volé aux victimes et à leurs proches leur droit à la mémoire et il est malheureusement prêt à aller très loin pour réduire au silence ceux qui cherchent à rappeler la répression de 1989. C’est pourquoi il est essentiel de ne pas oublier ces faits et de ne pas tourner la page, même 25 ans plus tard.