N’acceptons pas d’autres murs de la honte

Opinion signée par Manon Schick, directrice de la Section suisse d’Amnesty International, parue le 11 novembre 2014 dans le quotidien 24 Heures.
C’est moi qui avais informé ma mère, le 10 novembre 1989 à l’heure du petit déjeuner, que le mur de Berlin était tombé. Elle n’avait tout d’abord pas réalisé de quoi je parlais : « Tombé ? Un bout du mur est tombé sur les gens ? » Puis quand je lui ai expliqué que la radio évoquait des manifestants debout sur le mur devant la porte de Brandebourg, nous nous sommes mises à pleurer de joie.

Manon Schick Par Manon Schick, directrice d’Amnesty International Suisse. © Valérie Chételat.

J’avais 15 ans et j’ai gardé précieusement le petit papier que j’avais écrit lors du cours que mon prof de latin, ce matin-là, avait choisi de consacrer aux événements plutôt qu’à un test de vocabulaire : « Nuit du 9-10 nov. 89, moment mémorable et historique. Les frontières entre les deux Allemagnes sont ouvertes. Le mur de la Honte est anéanti. »

Mon père est Berlinois, il a eu la chance de naître à l’Ouest. Il a connu la guerre et son cortège de destructions, le blocus de la ville, puis la construction du mur. Depuis toute petite, je ne percevais de Berlin que la réalité de cette ville coupée en deux, les zones de no man’s land, les miradors, les longues attentes à la frontière, les policiers menaçants. Et ce mur, partout ce mur, comme dans une prison à ciel ouvert. Même les immenses manifestations en RDA ne nous donnaient aucun espoir. « Le mur ne tombera jamais », répétaient les Berlinois résignés.

Le 10 novembre, nous avons regardé avec incrédulité ces images de liesse, de retrouvailles, ces gens munis de pioches qui s’attaquaient au mur. A Noël, un mois et demi plus tard, nous sommes rendus en famille à Berlin et avons emporté marteau et burin pour arracher nous aussi un morceau de béton coloré. Je l’ai ressorti de sa boîte lors de cette commémoration des 25 ans de la chute du mur. En suivant à la télévision les émissions spéciales ce week-end, j’ai réalisé à quel point notre continent européen a évolué positivement, en si peu de temps.

Coupée par le mur, Berlin était dans mes souvenirs une ville triste et grise. C’est aujourd’hui une capitale vivante, attrayante, qui sait se souvenir avec émotion des pires moments de son histoire. Qui aurait imaginé cela il y a 25 ans ? Les événements survenus en Allemagne puis dans les autres pays d’Europe de l’Est le prouvent : avec la mobilisation, on peut renverser des murs et changer le monde. Mais ne serait-il pas plus simple de ne plus laisser construire d’autres murs de la honte ?

Les murs sont inutiles, ils ne servent qu’à nourrir notre propre peur. Les murs aux frontières de l’Europe, par exemple, n’empêchent pas les migrants de passer. On ne peut répondre à leur volonté légitime de survivre et de subvenir aux besoins de leur famille restée au pays par des barbelés et des camps. Seul le respect de leurs droits dans leur patrie les dissuadera de vouloir rejoindre l’Europe. Commençons aussi par abattre les frontières que nous avons dans nos têtes. Nous pourrons alors voir en l’étranger autre chose qu’une personne qui met en péril notre bien-être ou notre sécurité.