Suisse Non à la discrimination des femmes

Opinion signée par Manon Schick, directrice de la Section suisse d’Amnesty International, parue le 21 janvier 2014 dans le quotidien 24 Heures.
L’initiative qui veut supprimer le remboursement de l’avortement par l’assurance maladie de base est avant tout profondément discriminatoire. Discriminatoire contre les femmes en général, et contre celles qui n’ont que peu de moyens en particulier.

Manon Schick Manon Schick, directrice d’Amnesty International Suisse. | © AI

Jusqu’à preuve du contraire et à de rares exceptions près, il faut être deux, une femme et un homme, pour faire un enfant. Car je doute que les femmes qui recourent à un don de sperme choisissent ensuite d’avorter. Puisque les hommes contribuent à la procréation, pourquoi seules les femmes devraient-elles assumer les coûts d’une interruption volontaire de grossesse, en concluant une assurance complémentaire ?

Cette initiative veut donc dispenser les hommes de toute responsabilité. Et pourquoi pas une assurance complémentaire destinée aux hommes, qui prendrait en charge les conséquences d’un préservatif mal mis ? Il n’y a pas de raison que les femmes assument l’entier de la responsabilité financière en cas de grossesse non désirée.

L’initiative discrimine tout particulièrement les femmes qui se trouvent dans une situation financière précaire. Son acceptation entraînerait une violation du «droit à jouir du meilleur état de santé possible», tel qu’il est défini par l’Organisation mondiale de la santé et que chaque Etat a le devoir de le garantir. Les femmes sans moyens financiers se retrouveraient en effet obligées de recourir à des avortements illégaux. Voulons-nous revenir à l’époque où les femmes mourraient des suites de méthodes dangereuses d’interruption de grossesse ?

Cette initiative, en cas d’acceptation dans les urnes le 9 février, aurait donc des conséquences désastreuses. Espérons que les Suissesses et les Suisses se mobiliseront en masse pour la rejeter. Mais ce qui est inquiétant, c’est qu’elle n’est que la première d’une série d’initiatives qui tentent de limiter le droit des femmes à l'autodétermination dans le domaine de la sexualité, de la grossesse et de la maternité et qui stigmatisent l'avortement légal.

Nous serons en effet appelés à voter sur l’initiative qui vise à interdire l’éducation sexuelle pour les jeunes enfants et peut-être sur une autre qui veut supprimer l’avortement pour «remédier à la perte de milliards». Des initiatives lancées par des milieux chrétiens conservateurs et qui s’inscrivent dans une tendance mondiale : plusieurs États souhaitent en effet restreindre les droits en matière de sexualité et de procréation tels qu’ils avaient été adoptés dans le Programme d’action de la Conférence de l’ONU sur la population et le développement, il y a vingt ans au Caire.

Il s’agirait d’un retour en arrière inquiétant, à l’heure où de trop nombreuses femmes meurent encore chaque jour dans le monde parce qu’elles ne peuvent décider elles-mêmes du nombre d’enfants qu’elles veulent avoir, ou en raison du manque d’accès aux services de santé ou de discrimination dans l’accès à l’éducation sexuelle.