Suisse Quand l’étranger devient le bouc-émissaire idéal

18 février 2014
Il y a des jours où tout semble aller de travers. Vendredi dernier, par exemple, le récipient dans lequel je transportais mon repas de midi est tombé par terre en éclaboussant mes pantalons de sauce tomate. Le soir, alors que j’écrivais bêtement un SMS sans regarder où je mettais les pieds, j’ai marché en plein dans une crotte de chien. Je me suis demandé s’il valait mieux rire ou pleurer de cette journée ; j’ai pris le parti d’en rire.

Manon Schick Manon Schick, directrice de la section suisse d'Amnesty International © Amnesty International

Par contre, je me demande si je ne vais pas finir par pleurer à cause des conséquences du vote du 9 février 2014 contre l’immigration de masse. Tous les principes sur lesquels se base notre Etat de droit semblent prendre l’eau lorsqu’il s’agit des étrangers.

Ce même vendredi où je pestais contre ma maladresse, la Commission des institutions politiques du Conseil national a accepté à une large majorité d’enterrer les principes de proportionnalité et d’égalité de traitement. Les parlementaires débattaient de l’application de l’initiative pour le renvoi des criminels étrangers, elle aussi acceptée par une courte majorité de la population suisse, et dont la mise en œuvre contredit non seulement les obligations internationales de notre pays, mais également notre propre Constitution.

Bien sûr, le Conseil national devra se prononcer à son tour lors de la session de mars, mais il est probable qu’il suive la recommandation de sa commission, à savoir que toute personne étrangère qui a commis l’un des délits figurant sur la liste mentionnée par l’initiative devra automatiquement être expulsée, quelle que soit la durée de la peine à laquelle elle a été condamnée. Le Conseil fédéral avait proposé de fixer un seuil minimal de deux ans de condamnation pour décider de l’expulsion, mais il n’a pas été suivi.

Prenons l’exemple d’un jeune d’origine étrangère, né en Suisse et qui y a fait toute sa scolarité, qui se ferait condamner plusieurs fois pour participation à une bagarre, trafic de drogue ou perception indue de l’aide sociale. Il aurait beau n’avoir été condamné qu’à de très courtes peines de prison, le fait qu’il soit récidiviste suffirait à le faire renvoyer dans son pays d’origine, où il n’a jamais vécu.

Les juges n’auront plus aucune marge de manœuvre pour juger de la situation personnelle d’un délinquant. On met ainsi dans le même panier des personnes qui ont commis des délits relativement mineurs et des violeurs, des brigands ou encore des assassins. Par contre, les criminels en col blanc pourront poursuivre leurs activités de blanchiment sans crainte d’être expulsés.

Cela me préoccupe que des politiciens soient prêts à fouler aux pieds des principes élémentaires du droit. Aujourd’hui ce sont les étrangers qui sont visés, qu’en sera-t-il demain ? Espérons que l’hystérie collective post-9 février se calme et que la Suisse puisse retrouver rapidement ce qui a fait sa force : le respect des droits de chacun.