Je suis Raif, jeune blogueur saoudien

Opinion signée par Manon Schick, directrice de la Section suisse d’Amnesty International, parue le 20 janvier 2015 dans le quotidien 24 Heures.
Je suis Charlie. Comme tant d’autres qui ont manifesté ou ont témoigné leur solidarité sur les réseaux sociaux, j’ai été profondément choquée par cette attaque injustifiable contre Charlie Hebdo et contre la liberté d’expression. Je suis également bouleversée par le massacre de ces quatre personnes, tuées uniquement parce qu’elles étaient juives.

Je suis Raif

Aujourd’hui, je suis aussi Raif. Ce jeune homme a créé un forum en ligne pour débattre publiquement sur son pays, l’Arabie Saoudite, et sur l’islam rigoriste qui y est appliqué. Un crime, a décidé la justice saoudienne l’an dernier, qui a condamné Raif Badawi à dix ans de prison et à 1000 coups de fouet.

Ironie du sort ? Deux jours après l’attentat contre Charlie Hebdo, alors que les chefs d’État se réunissaient à Paris pour participer à la marche de solidarité, alors que le numéro 2 de la diplomatie saoudienne allait présenter ses condoléances à François Hollande au nom de son gouvernement, Raif Badawi subissait en public, à Djedda, une première série de 50 coups de fouet. Il devrait subir 50 autres coups chaque vendredi, pendant 20 semaines.

Fort heureusement, la communauté internationale a élevé la voix. Les gouvernements des États-Unis et de France, suivis notamment en Suisse par le Département fédéral des Affaires étrangères, ont clairement condamné ce châtiment injuste qui viole l’interdiction de la torture. Il était temps. Amnesty International mène campagne depuis des mois pour tenter d’obtenir la libération de Raif. Rien qu’en Suisse, 9000 signatures ont été récoltées et remises à l’ambassade saoudienne la semaine passée, pour exiger des autorités qu’elles renoncent à l’application de la peine.

Vendredi dernier, la deuxième série de coups de fouet a été annulée, pour «raisons médicales». Raif ne serait pas suffisamment remis pour supporter de nouveaux coups. Il ne s’agit donc que d’un report de quelques jours. Quel cynisme absolu de la part des autorités saoudiennes !

Pourtant, selon les informations reçues par sa femme, réfugiée avec leurs trois enfants au Canada, le dossier de Raif devrait être revu par la Cour suprême saoudienne. Seule la pression publique et diplomatique sur les autorités et la justice de ce pays permettra d’obtenir que Raif soit rapidement libéré et puisse un jour retrouver sa famille.

La liberté d’expression est un droit fondamental, mais qui n’est jamais garanti. Les personnes qui dérangent se retrouvent souvent dans le viseur de fondamentalistes ou des autorités qu’elles critiquent. Elles paient parfois de leur vie le fait d’avoir osé s’exprimer. Il est urgent de les défendre. Être Charlie, c’est aussi être Raif aujourd’hui, et d’autres blogueurs, caricaturistes et journalistes demain.