Raif Badawi, comme Charlie Hebdo, sont des exemples de la fragilité de la liberté d'expression. Mais ils ne sont pas les seuls. © AI
Raif Badawi, comme Charlie Hebdo, sont des exemples de la fragilité de la liberté d'expression. Mais ils ne sont pas les seuls. © AI

La liberté d’expression mise à l’épreuve

27 janvier 2015
L’attentat contre les caricaturistes de Charlie Hebdo et le cas du bloggeur saoudien Raïf Badawi, qui a été condamné à la flagellation publique pour avoir tenu des propos critiques vis à vis de la religion, posent une lumière crue sur le droit à la liberté d’expression et appellent diverses questions: que recouvre ce droit? Où sont ses limites? Comment est-il compris aujourd’hui?

Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression (…) Art. 19 DUDH

Par Stella Jegher*

Le droit d’avoir ses propres croyances, ses propres opinions, sa propre vision du monde, le droit de les exprimer librement et même de les diffuser sans risquer la prison, la torture ou même la mort est l’une des libertés les plus fondamentales garantie par le système des droits humains. C’est aussi l’une de celles qui sont le plus souvent violées. Nombreux sont en effet ceux et celles qui refusent d’accepter que des idées, qui peuvent être ressenties comme blessantes ou offensantes – y compris les blasphèmes, sont protégées par ce droit.

Cela ne signifie pas pour autant que le droit à la liberté d’expression est absolu. Comme aux autres droits on peut lui imposer des restrictions, par exemple pour protéger des tiers contre d’autres violations des droits humains. Les normes internationales en matière de droits humains ne s’opposent pas à l’adoption de lois antiracistes, aux sanctions contre le harcèlement sexuel ou encore à l’interdiction des discours haineux envers les minorités. Le droit international fixe cependant des conditions très strictes à ces limitations: elles doivent reposer sur une base légale suffisante, poursuivre un objectif légitime – la protection de l’ordre et de la sécurité publics, de la morale ou des droits et libertés de tiers – et respecter le principe de proportionnalité.

Badawi, tout sauf un cas isolé

Les gouvernements du monde entier violent aujourd’hui le droit à la liberté d’expression d’une manière que rien ne justifie. En Arabie Saoudite, à côté de Raïf Badawi, l’avocat et militant des droits humains Walid Abul Khair a été condamné la semaine dernière à quinze ans d’emprisonnement pour avoir «sapé le régime et les officiels» et «insulté le corps judiciaire». Au Myanmar, le journaliste Zaw Pe a été traduit en justice l’an dernier parce qu’il avait mené des investigations sur la corruption. Le nouveau gouvernement thaïlandais, à peine arrivé au pouvoir, a interdit les rassemblements publics de plus de cinq personnes. En Russie, la répression contre les médias indépendants, les journalistes et les organisations non gouvernementales prend des formes toujours plus grotesques. En Tunisie, le bloggeur Yassine Ayari a été condamné la semaine dernière à un an d’emprisonnement pour «offense à l’armée» pendant qu’au Bahreïn Nabil Rajab, directeur d’un centre pour les droits humains a écopé de six mois de détention pour «diffusion de nouvelles diffamatoires» sur Twitter. Samedi prochain, à Oman, débute le procès contre le défenseur des droits humains Saeed Jaddad pour violations de la loi sur l’informatique et pour avoir«porté atteinte au statut et au prestige de l’État». Amnesty s’engage, au moyen d’actions dans le monde entier, en faveur de la libération immédiate de ces prisonniers de conscience

Sécurité contre liberté

Les Etats occidentaux s’attaquent également et de manière drastique à la liberté d’expression. Au nom de la sécurité publique et de la guerre contre la terreur, les libertés fondamentales sont restreintes: des personnes sont placées sous surveillance ou arrêtées, les rassemblements sont interdits. La France, depuis l’attentat contre Charlie Hebdo, connait une vague d’arrestations, menée au nom de la lutte anti-terroriste. La ville de Dresde a provisoirement interdit les manifestations de Pegida par peur d’une attaque contre le fondateur de ce mouvement. Toute l’Europe mène par ailleurs des discussions – auxquelles elle cherche à associer les Etats arabes – sur les nouvelles mesures à prendre contre les dangers du terrorisme.

L’attentat contre Charlie Hebdo devient ainsi un test pour toute la communauté des Nations en ce qui concerne le respect universel du droit à la liberté d’expression. Celle ci ne peut exister sans la liberté de ceux et celles qui pensent autrement. Ni en Arabie Saoudite, ni en France, ni en Suisse. Nous portons toutes et tous la responsabilité de la respecter et de nous engager en sa faveur.

*Stella Jegher est responsable de la communication pour la Section suisse d’Amnesty International