La «patate chaude» des réfugiés

Opinion signée par Manon Schick, directrice de la Section suisse d’Amnesty International, parue le 23 juin 2015 dans le quotidien 24 Heures.
C’était une bien triste journée mondiale des réfugiés, samedi dernier. L'actualité dramatique de ce nouveau record de 60 millions de personnes déplacées à travers le monde était dans tous les esprits. Nous vivons actuellement la plus grande crise des réfugiés depuis la Seconde Guerre mondiale.

Par Manon Schick, directrice de la Section suisse d’Amnesty International. © Valérie Chételat

Depuis le début de 2015, près de 100'000 personnes ont tenté la traversée de la mer Méditerranée pour rejoindre les côtes italiennes ou grecques. Souvent au péril de leur vie, puisque 1800 d’entre elles au moins ont péri dans le naufrage de leur embarcation.

Suite à ces tragédies, mais après de longues tergiversations, l’Europe a enfin réagi et remis sur pied une opération de sauvetage en mer à grande échelle. Par contre, presque aucun pays européen n’est prêt à assumer ses responsabilités et à accueillir quelques milliers de personnes particulièrement vulnérables. Les politiciens, y compris en Suisse, rivalisent de propositions populistes et inapplicables pour barrer la route aux migrants, en imaginant fermer les frontières ou n’accueillir plus que les personnes qui arriveraient par avion.

Le monde ferme les yeux sur le défi majeur du 21e siècle : les déplacements massifs de population.  Les dirigeants condamnent des millions de réfugiés à une existence insupportable et des milliers d’autres à la mort en s’abstenant de leur fournir une protection humanitaire essentielle. Ceci alors que des pays comme le Liban ou la Turquie accueillent des millions de personnes fuyant la Syrie.

La communauté internationale ne fournit pas à ces pays de ressources suffisantes, pas plus qu’aux agences humanitaires qui viennent en aide aux réfugiés. Malgré les demandes du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), le nombre de places de réinstallation reste largement insuffisant.

La situation est si problématique que des pays voisins de la Syrie en sont venus à prendre des mesures inquiétantes : ils ont notamment refusé à des réfugiés l’entrée sur leur territoire, et en ont renvoyé d’autres vers le conflit. Depuis début 2015, le Liban a fortement entravé l’accès à son territoire : au cours du premier trimestre, le HCR a enregistré une baisse de 80 % de réfugiés syriens par rapport à la même période en 2014.

Les réfugiés ne sont pas une « patate chaude » qu’on peut se renvoyer d’un pays à l’autre. Ce sont des êtres humains, pourvus notamment deux droits fondamentaux : celui de vivre et celui de chercher refuge dans un autre pays. Le Conseil fédéral l’a compris et a augmenté le contingent de réfugiés que la Suisse va accueillir. Pourtant, les 3'000 personnes vulnérables qui recevront un visa pour la Suisse dans les trois prochaines années ne doivent pas faire oublier le million d’autres qui attendent encore une décision similaire.