Par Manon Schick, directrice d’Amnesty International Suisse.
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Juin 2013 : les révélations d’Edward Snowden sur les écoutes généralisées de l’agence nationale de sécurité américaine et des services secrets britanniques démontrent que « Big Brother » est devenu réalité.
Janvier 2015 : malgré une panoplie de moyens de surveillance sophistiqués, les services de renseignements français ne parviennent pas à empêcher les horribles attentats contre Charlie-Hebdo et un supermarché juif.
Mars 2015 : dans notre pays, le Conseil national va se pencher lors de cette session sur une nouvelle Loi fédérale sur le renseignement. Il va devoir choisir entre des mesures drastiques – à l’utilité plus que douteuse et empiétant gravement sur les droits humains – et le respect de la sphère privée et de la liberté d’expression de chacun.
Le projet de loi propose en effet d’autoriser les services de renseignements à «explorer le réseau câblé», c’est-à-dire à intercepter et analyser toutes les données transmises de Suisse à l’étranger et vice-versa par le réseau câblé suisse. La conversation par Skype de Madame Durand avec sa fille en Australie ou l’e-mail envoyé par Monsieur Dupond pour commander une canne à pêche en France pourront ainsi être interceptés et stockés. Même si l’expéditeur et le destinataire se trouvent tous deux en Suisse, un message, s’il est envoyé via une messagerie du type Gmail (Google), va transiter par l’étranger et pourra donc être intercepté.
C’est là une atteinte intolérable à la vie privée de tout un chacun qui est programmée. Même si la mesure doit être ordonnée par un juge et confirmée par le chef du Département fédéral de la défense, on voit mal comment ceux-ci pourraient résister à la peur d’une possible action terroriste que ne manqueront pas de brandir les enquêteurs du service de renseignements.
Pour Amnesty International, il peut parfois être légitime de restreindre certains droits, mais toute interception généralisée et non différenciée d’un système de communication est incompatible avec les exigences de proportionnalité et de nécessité. Une telle interception des communications doit, comme c’est le cas maintenant dans le cadre d’une procédure pénale, être basée sur des soupçons précis et ne viser qu’une personne ou un groupe de personnes restreint.
Nos députés qui vont devoir faire un choix au courant de cette session feraient bien de garder à l’esprit que les programmes américains, britanniques ou français de surveillance généralisée, aussi puissants soient-ils, n’ont pas empêché la mort de dix-sept personnes à Paris et de deux à Copenhague. Ils ont par contre violé la sphère privée de millions de personnes qui n’avaient absolument rien à se reprocher.