Le Mali, perpétuation de la Françafrique?

Opinion signée par Manon Schick, directrice de la Section suisse d’Amnesty International, parue le 19 février 2013 dans le quotidien 24 Heures.
La semaine dernière, j’ai rencontré lors d’une réunion des directeurs de sections d’Amnesty International mon collègue qui dirige notre antenne au Mali, Saloum Traoré.

196_manon.jpg Manon Schick, directrice de la Section suisse d’Amnesty International © AI

Saloum nous a raconté la tentative d’agression dont il a été victime début février : des inconnus cagoulés ont essayé de s’introduire dans sa maison à Bamako, et il a pris la fuite en sautant par-dessus le mur qui le sépare de son voisin. Depuis, il ne dort plus chez lui et sa famille vit dans l’inquiétude.

Deux jours avant cette agression, Amnesty International avait tenu une conférence de presse dans la capitale malienne pour dénoncer les violations des droits humains commises par les forces armées maliennes et françaises dans leur reconquête du pays. Notre délégation a recueilli durant dix jours de mission à travers le pays des témoignages concordants, qui indiquent que l'armée malienne a exécuté de manière extrajudiciaire plus d’une vingtaine de civils et qu’elle a procédé à l’arrestation arbitraire de personnes soupçonnées de liens avec les groupes islamistes armés.

Il existe également des indices troublants sur la mort de cinq civils, dont une mère et ses trois jeunes enfants, tués dans un raid aérien lancé dans le cadre d'une contre-offensive menée conjointement par les armées française et malienne.

Mon collègue Saloum n’est pas le seul à être victime de représailles au Mali. Des voix discordantes – des politiciens ou membres d’ONG – sont menacées. Certaines personnes semblent avoir été exécutées seulement parce qu’elles portaient des habits touareg qui pouvaient s’apparenter à ceux que portent les islamistes.

Evidemment qu’une intervention militaire entraîne toujours des violations des droits humains. Et en matière d’exactions, les groupes islamistes armés ne sont d’ailleurs pas en reste : homicides, recrutement d’enfants soldats dont certains sont âgés de seulement dix ans, violences sexuelles et actes de torture. Pourtant, ce catalogue d’horreurs ne dédouane pas l’armée malienne, qui doit prendre les mesures nécessaires pour protéger les civils.

La France s’est posée en championne de la défense de la population civile contre les groupes islamistes armés. Du coup, son rôle ne doit pas s’arrêter à l’intervention militaire. Elle doit mener une enquête indépendante sur les crimes qui sont reprochés à son armée. Et la France doit exiger des autorités maliennes qu’elles en fassent de même de leur côté.

Sinon, on pourra soupçonner François Hollande de vouloir poursuivre la vieille tradition de la Françafrique : tant que les régimes en place faisaient acte d’allégeance à la France, les gouvernements français successifs s’accomodaient fort bien des méthodes peu démocratiques de leurs collègues africains. Fermer les yeux sur les violations actuelles de l’armée malienne serait inacceptable.