Opinion Les Allemands, eux, ont compris

Opinion signée par Manon Schick, directrice de la Section suisse d’Amnesty International, parue le 27 octobre 2015 dans le journal 24 Heures.

Par Manon Schick, directrice de la Section suisse d’Amnesty International. © Valérie Chételat

C’était un jour pluvieux et froid pendant les vacances d’octobre, une journée « idéale » pour visiter la prison de la Stasi à Berlin, l’endroit où étaient détenus les prisonniers politiques qui s’opposaient au régime communiste en Allemagne de l’Est. Ceux qui accompagnent les visiteurs de ce mémorial ne sont pas des guides comme les autres : ce sont eux-mêmes d’anciens détenus.

Le guide de mon groupe nous a expliqué son parcours, tellement typique dans l’ex-Allemagne de l’Est. Au début des années 1980, il décide de s’enfuir avec un ami car ils n’adhèrent pas au système communiste de leur pays. Ils prétextent des vacances en Bulgarie pour tenter de franchir la frontière avec la Grèce et rejoindre ainsi le « monde libre ». Mais la frontière est bien gardée, ils se sont attraper.

La police politique, la Stasi (abréviation de Staatsicherheit), vient les chercher en Bulgarie, les rapatrie à Berlin et les enferme dans la prison de Hohenschönhausen. Mon guide passe cinq mois dans ce lieu sinistre, où ont été torturées et sont mortes des milliers de personnes qui, comme lui, n’avaient commis aucun délit, à part celui de vouloir s’enfuir. Il est ensuite transféré dans une autre prison pour deux ans, avant d’être vendu à l’Allemagne de l’Ouest contre des devises qui permettaient au gouvernement de l’Est de se procurer des biens introuvables dans le monde communiste.

Alors que je l’écoutais nous raconter son histoire, une évidence m’a tout d’un coup sauté aux yeux : les Allemands ont une autre attitude que nous les Suisses vis-à-vis des réfugiés parce qu’ils comprennent ce qui pousse les gens à fuir. Ils savent qu’on peut trouver la répression insupportable au point de vouloir tout quitter, sa famille, sa vie ordinaire, pour affronter l’inconnu en espérant trouver une vie meilleure. Ils comprennent que les réfugiés ne sont pas des êtres humains différents de nous : ils sont parfois tellement proches qu’ils parlent la même langue et ont pour seul tort d’habiter du mauvais côté de la frontière.

J’ai été frappée de voir de nombreux endroits à Berlin où des bénévoles collectaient de la nourriture, des vêtements et de l’argent en faveur des réfugiés. Une grande partie de la population s’implique dans cet effort de solidarité, même si bien sûr la politique d’accueil suscite aussi des critiques.

Ce que bon nombre d’Allemands ont compris, nous les Suisses ne l’avons pas encore réalisé. Nous n’avons connu ni la Seconde Guerre mondiale, ni le communisme. Nous n’avons pas, dans notre histoire récente, dû fuir pour rejoindre le «monde libre». Fort heureusement. Mais est-ce que cela doit pour autant nous empêcher de montrer de la bienveillance et de l’humanité envers les réfugiés ?