Opinion L’Arabie Saoudite, l’allié encombrant des démocraties

Opinion signée par Manon Schick, directrice de la Section suisse d’Amnesty International, parue le 9 juin 2015 dans le quotidien 24 Heures.
Un État qui décapite les condamnés à mort en public, qui traite les femmes comme des mineures privées de droits, qui empêche les citoyens de critiquer l’Islam en les condamnant à la prison et à des coups de bâton, cela vous dit quelque chose ? Non, ce n’est pas l’État islamique, mais l’Arabie Saoudite.

«Tuer pour montrer qu’il ne faut pas tuer? Abject et inutile.», affirme Manon Schick, directrice de la Section suisse d’Amnesty International. © AILa comparaison s’arrête là. Car au niveau des relations internationales, autant l’auto-proclamé «État islamique» est banni par tous les gouvernements – avec raison, vu les ignobles violations des droits humains commises par ces djihadistes –, autant l’Arabie Saoudite reste un partenaire commercial et un allié de nombreuses démocraties occidentales.

Une situation d’autant plus scandaleuse que la Cour suprême de ce pays vient de confirmer dimanche dernier la condamnation du blogueur Raif Badawi à dix ans de détention et mille coups de bâton. Et Raif n’est que l’un des nombreux prisonniers détenus uniquement pour avoir osé exprimer, de façon pacifique, ses opinions. Son avocat Waleed Abu al Khair a, lui, été condamné à quinze ans de prison.

Depuis le début de l’année, nonante personnes ont été exécutées, soit déjà plus que le nombre total d’exécutions de 2014. Le plus souvent, les condamnés n’ont pas bénéficié de procès équitables, leurs aveux ont été extorqués sous la torture, et ils n’ont pas eu accès à un avocat pour défendre leur cause. Un nombre croissant de personnes d’obédience chiite (alors que la majorité est wahhabite) ont été condamnées à mort durant ces deux dernières années. Les autorités saoudiennes ont pris pour cible la communauté des défenseurs des droits humains et réduisent toute opposition au silence.

Il serait temps que nos chancelleries ouvrent les yeux sur la situation dramatique des droits humains dans ce pays et utilisent toutes les voies possibles, de la condamnation publique à l’arrêt de la livraison d’armes, pour faire pression sur le nouveau roi saoudien. Le Conseil fédéral avait pris publiquement position en janvier et mis la condamnation de Raif Badawi à l’ordre du jour d’une rencontre bilatérale.

La femme de Raif, Ensaf Haidar, réfugiée au Canada avec ses trois enfants, était ces dernières semaines en Europe pour appeler à ne pas cesser la mobilisation en faveur de la libération de son mari. Un livre regroupant quelques textes de Raif vient de paraître. Le combat de cette femme, qui a souligné à quel point la solidarité internationale lui donnait la force de continuer, a ému les militants d’Amnesty International aux larmes.

La femme de Raif a été reçue par des ministres européens, qui lui ont garanti leur soutien. Espérons que leurs mots soient aujourd’hui suivis d’interventions concrètes auprès des autorités saoudiennes et ne restent pas lettre morte.