Une initiative mensongère et dangereuse

Opinion signée par Manon Schick, directrice de la Section suisse d’Amnesty International, parue le 17 mars 2015 dans le quotidien 24 Heures.
Après des mois d’effet d’annonce, l’UDC a finalement lancé mardi dernier son initiative «Le droit suisse au lieu de juges étrangers». Derrière ce texte se cache une attaque directe contre la Convention européenne des droits de l’homme et contre la Cour basée à Strasbourg, qui s’occupe de surveiller l’application de la convention.

Manon Schick Par Manon Schick, directrice d’Amnesty International Suisse. © Valérie Chételat

Cette initiative est mensongère et dangereuse. Mensongère parce qu’elle essaie de faire croire que des juges «étrangers» prennent des décisions sur la Suisse, alors que deux juges suisses siègent à la Cour, l’une pour représenter notre pays, l’autre pour le Liechtenstein, et que la Suissesse Helen Keller participe aux jugements qui concernent notre État. Dangereuse parce qu’elle menacerait tous nos contrats avec l’étranger, y compris nos accords économiques.

Si l’initiative aboutissait et était approuvée, cela représenterait un recul majeur pour nos droits fondamentaux. Nos droits, quels droits ? Le droit de s’adresser à la Cour européenne des droits de l’homme quand on estime que notre État n’a pas respecté nos droits de citoyens.

C’est ce qu’a fait notamment la famille d’un mécanicien décédé d’un cancer qu’il a développé après une exposition à l’amiante. La Suisse prévoit un délai de dix ans pour réclamer des dommages et intérêts à son employeur. Mais la plupart des personnes exposées à l’amiante ne développent un cancer que de nombreuses années plus tard. Il est alors trop tard pour obtenir une indemnisation. La Cour de Strasbourg a donné raison à cette famille : le délai de prescription est trop court. C’est une victoire pour les droits de cette dernière et un espoir pour les autres victimes de l’amiante.

Notre pays n’est que très rarement condamné, car plus de 95% des plaintes sont déclarées irrecevables. Pourtant, la Convention européenne des droits de l’homme est une protection essentielle pour les citoyens. Les décisions rendues par la Cour ont permis de faire évoluer notre droit national et nous en bénéficions toutes et tous.

Bien sûr, certaines décisions sont critiquables. Mais n’en va-t-il pas de même parfois pour le Tribunal fédéral ? Personne ne demande pour autant sa suppression ! Alors pourquoi le faire avec la Cour de Strasbourg et prendre le risque que la Suisse doive dénoncer la Convention européenne des droits de l’homme ?

La démocratie ne consiste pas seulement en des décisions prises par la majorité du peuple lors de votations populaires. Elle consiste aussi en une représentation équitable des minorités linguistiques dans les instances nationales, en un système juridique qui garantit notre État de droit et qui nous protège contre l’arbitraire. Nous aurons tout intérêt à nous en souvenir quand il sera l’heure de voter sur cette initiative absurde.