Les travailleurs migrants, notamment ceux qui construisent les stades et les infrastructures pour la Coupe du monde de football, sont exposés au danger du travail forcé. © Amnesty International
Les travailleurs migrants, notamment ceux qui construisent les stades et les infrastructures pour la Coupe du monde de football, sont exposés au danger du travail forcé. © Amnesty International

Opinion Des stades bâtis sur le sang et les larmes

Opinion signée par Manon Schick, directrice de la Section suisse d’Amnesty International, parue le 26 avril 2016 dans le journal 24 Heures.
Les travailleurs migrants employés sur les chantiers de la Coupe du monde 2022 sont victimes de nombreuses violations des droits fondamentaux.

Par Manon Schick, directrice d’Amnesty International Suisse. © Valérie ChételatSakib, un Bangladais de 28 ans, travaille comme jardinier dans le complexe sportif de l’Aspire Zone au Qatar, qui accueillera les matches de la Coupe du monde de football en 2022. Il a versé 4’000 dollars à un recruteur, pour que celui-ci lui obtienne cet emploi payé 160 dollars par mois. Il dépense désormais la majeure partie de ce tout petit salaire pour rembourser sa dette.

Ce genre d’histoire est la norme pour de nombreux travailleurs migrants au Qatar. En quête de travail et d’un salaire à envoyer à leur famille restée au Bangladesh, au Népal ou en Inde, ils se sont rendus dans ce pays qui est le plus riche du monde en termes de revenu par personne. Mais au lieu de trouver l’emploi rémunérateur dont ils rêvaient, ces hommes sont victimes de nombreuses violations des droits fondamentaux et du droit qatarien du travail.

Amnesty International a recueilli les témoignages de plus de 200 travailleurs migrants. Ils ont tous dit avoir dû payer d’énormes sommes à des recruteurs. Une fois arrivés au Qatar, presque tous ont découvert que les salaires qui leur seraient versés étaient inférieurs à ce qu’on leur avait promis, parfois de moitié ou plus. Ils vivent aujourd’hui à l’étroit dans des logements sordides et beaucoup reçoivent leur salaire avec retard, parfois de plusieurs mois.

La majorité d’entre eux se sont fait confisquer leur passeport par leur employeur, ce qui limite leur capacité à quitter le pays et les expose à un risque accru de travail forcé. Mais le pire, c’est qu’ils ont presque tous peur de se plaindre de leur situation.

Confrontée à ces dénonciations, la FIFA a accepté de venir dialoguer durant notre assemblée générale qui se tenait ce week-end à Genève. Federico Addiechi, qui a participé à la table ronde en tant que chef du département Développement durable de la FIFA, a déclaré que la faîtière du football prenait ses responsabilités au sérieux : «Nous avons déjà pris un certain nombre de mesures et intensifierons nos efforts pour faire en sorte que les droits humains soient pleinement respectés dans le cadre de nos évènements sportifs. Nous révisons également les critères d’attribution des Coupes du monde de façon à ce qu’ils incluent des aspects relatifs aux droits humains.»

En visite au Qatar, le nouveau président de la FIFA, Gianni Infantino, a annoncé vendredi la création d’un organe de supervision des conditions de travail. Mieux vaut tard que jamais ! Mais cet organe ne devrait pas se limiter à superviser la construction des stades, il devrait aussi se préoccuper des autres infrastructures liés à la Coupe du Monde. Sinon, sans action concrète pour améliorer la situation, il y a fort à craindre que le Mondial 2022 soit bâti sur le sang, la sueur et les larmes des travailleurs migrants.