Initiative de mise en oeuvre Tous les étrangers risquent l’expulsion

Opinion signée par Manon Schick, directrice de la Section suisse d’Amnesty International, parue le 19 janvier 2016 dans le journal 24 Heures.
L’initiative de l’UDC «Pour le renvoi effectif des étrangers criminels» va bien au-delà de la simple mise en œuvre de celle de 2010 et viole le principe de proportionnalité. L’opinion de Manon Schick, directrice d’Amnesty International Suisse.
Par Manon Schick, directrice d’Amnesty International Suisse. © Valérie Chételat

Mon père est allemand. Jeune homme, il a rencontré ma mère, une Vaudoise, et est venu s’installer en Suisse pour y vivre avec elle. L’Allemagne n’autorisait pas ses citoyens à avoir deux nationalités, et s’il s’était naturalisé suisse, il aurait dû demander un visa pour se rendre en Allemagne de l’Est et voir ses parents à Berlin. Il a donc vécu en tant qu’Allemand dans notre pays pendant des décennies.

Mon ancienne camarade du gymnase, Anne, est originaire du Luxembourg, mais elle a toujours vécu dans la région lausannoise et y travaille aujourd’hui comme médecin. Elle a d’ailleurs déposé une demande de naturalisation, mais cela fait plus de deux ans qu’elle attend que la procédure aboutisse.

Ils ont en commun d’avoir fait leur vie dans notre pays sans avoir le passeport suisse. Comme tous les étrangers, ils pourraient être expulsés de notre pays selon les termes de l’initiative de «mise en œuvre» de l’UDC, qui sera soumise à votation le 28 février prochain. Des immigrés de première ou de deuxième génération risquent d’être expulsés vers un pays dans lequel ils n’ont plus de famille, dans lequel ils n’ont peut-être jamais vécu et ne parlent même pas la langue, et en devant abandonner ici leurs parents, leur conjoint ou même leurs enfants.

En 2010, le peuple et les cantons ont accepté à une très faible majorité une initiative permettant l’expulsion des «étrangers criminels». L’UDC nous ment aujourd’hui en voulant nous faire croire que sa nouvelle initiative ne vise qu’à la «mise en œuvre» de la première initiative. Le catalogue des infractions a enflé au point de maintenant remplir 3 pages A4 et est bien différent de celui que nous avons voté. Selon ce nouveau texte, toute personne étrangère condamnée pour un délit mineur qui ne mérite même pas la prison serait automatiquement expulsée.

Deux exemples : imaginons que ma camarade Anne connaisse des difficultés financières. Complètement débordée et pas très au point dans les démarches administratives, elle ne verse pas ses cotisations AVS et ne répond pas aux lettres de la caisse qui exige qu’elle les paie sans délai. Condamnée pour escroquerie aux assurances sociales, elle serait expulsée si l’initiative de mise en œuvre était en vigueur. Imaginons que mon père reçoive par erreur le remboursement à double d’une facture de 300 francs et qu’il ne l’annonce pas à son assurance maladie, sous prétexte que celle-ci aurait plusieurs fois refusé de lui rembourser ses traitements par le passé. Il serait expulsé.

Cette initiative viole gravement le principe de la proportionnalité qui exige qu’on soit condamné à une peine en fonction de la gravité du délit commis. Elle est dangereuse pour notre État de droit et mensongère. Il faut la refuser.