Une famille de réfugié·e·s e à la frontière grècque. © Fotis Filippou
Une famille de réfugié·e·s e à la frontière grècque. © Fotis Filippou

Opinion Un accord irresponsable et scandaleux avec la Turquie

Opinion signée par Manon Schick, directrice de la Section suisse d’Amnesty International, parue le 7 juin 2016 dans le journal 24 Heures.
Alors que la population suisse vient – heureusement – d’accepter la révision de la Loi sur l’asile, les prochains défis se présentent déjà. Certains présidents de partis remettent sur la table des propositions irresponsables, comme celle de fermer les frontières en y envoyant l’armée suisse ou de renvoyer les Érythréens dans leur pays, alors qu’on connaît trop bien les dangers qui les menacent.

Par Manon Schick, directrice d’Amnesty International Suisse. © Valérie ChételatAu niveau européen, les propositions irresponsables sont malheureusement déjà mises en œuvre. L’accord passé en mars dernier entre l’Union européenne et la Turquie prévoit qu’en contrepartie de chaque réfugié syrien renvoyé de Grèce en Turquie, l’Europe accueille un autre réfugié syrien se trouvant en Turquie. Il s’agit d’un marchandage scandaleux qui  n’a d’autre but que de fermer l’accès des réfugiés à l’Europe via la Grèce. Or la semaine dernière, Amnesty International a rendu public un rapport sur la situation des réfugiés dans ce pays : le constat est catastrophique.

Bien que la Turquie se montre généralement accueillante à l'égard des réfugiés, leur nombre très élevé – environ 2,75 millions de réfugiés syriens et 400 000 réfugiés et demandeurs d'asile venant d'autres pays (essentiellement d'Afghanistan, d'Irak et d'Iran) – pèse énormément sur son système d'asile. Et la capacité de ce pays à répondre aux besoins les plus élémentaires de ces personnes est durement mise à mal.

Les demandeurs d'asile doivent attendre parfois pendant plusieurs années que leur dossier soit examiné. Durant cette période d'attente ils ne reçoivent pas, ou quasiment pas d'aide pour trouver un abri et de quoi vivre pour eux-mêmes et pour leurs proches, ce qui amène des enfants n'ayant parfois pas plus de neuf ans à travailler pour aider leur famille.

Mes collègues ont aussi documenté des cas de requérants d’asile qui ont été renvoyés par les autorités turques dans leur pays, en Afghanistan, en Irak et en Syrie, alors qu’ils y risquent leur vie. Ceci en violation complète du principe de non-refoulement.

La Turquie, nous ne le répéterons jamais assez, n’est pas un pays sûr pour les réfugiés. Au lieu de se décharger de ses responsabilités sur ce pays, l'Union européenne devrait plutôt chercher à lancer un ambitieux programme de réinstallation pour les personnes réfugiées qui se trouvent actuellement dans ce pays. Elle réagit hélas à l'une des pires catastrophes humanitaires de notre temps en érigeant des barrières, en déployant un nombre accru de gardes-frontières, et en concluant des accords douteux avec des pays voisins afin d'empêcher les gens d'entrer sur son territoire. Cette politique qui, soit dit en passant, fait le jeu des passeurs, se traduit par de la détresse, des souffrances et un nombre accru de morts en mer.

La minute de Manon sur l'accord entre l'UE et la Turquie.