C’était il y a cinq ans. Encore émerveillée de ma rencontre avec la lauréate du prix Nobel de la paix qui venait d’être autorisée à quitter la Birmanie, j’écrivais dans ma chronique de 24 Heures que j’étais «fan d’Aung San Suu Kyi».
C’était avant. Avant qu’elle ne soit élue conseillère d’Etat dans son pays. Avant qu’elle ne se mure dans le silence au sujet des violations commises par l’armée birmane contre la minorité ethnique des Rohingyas. Puis qu’elle ne laisse entendre que les organisations qui leur viennent en aide soutiennent le terrorisme. Et aujourd’hui, je suis bien obligée d’avouer mon amère déception.
Comme le disait Thierry Meyer dans son éditorial, sans doute que nous attendions trop d’elle. Elle n’a effectivement aucun pouvoir sur les militaires, qui n’ont pas de compte à rendre aux autorités civiles. Et les discriminations contre les Rohingyas ne datent pas d’hier: Aung San Suu Kyi était encore en résidence surveillée que cette minorité musulmane dans un pays majoritairement bouddhiste subissait déjà des violations massives. Cette population est depuis longtemps privée de nationalité et en butte à de nombreux obstacles pour accéder aux services de santé et à d'autres services élémentaires.
Pour autant, la retenue de celle qui aujourd’hui dirige de facto le Myanmar reste inexplicable. Suite aux déplacements massifs des Rohingyas fuyant le pays, elle a été forcée de quitter son silence. Elle a alors affirmé que son gouvernement ne craint pas l’examen international, mais ses mots sonnent creux. Car le Myanmar a déclaré à plusieurs reprises qu'il ne coopérerait pas avec la mission d'établissement des faits mandatée par les Nations unies. Si les autorités birmanes n’ont rien à cacher, elles devraient autoriser la venue d'enquêteurs. Elles devraient aussi accorder aux organismes humanitaires un accès sans entrave dans toutes les régions du pays, afin qu’ils puissent venir en aide à ceux qui en ont besoin.
Très clairement, Aung San Suu Kyi a démontré qu'elle-même et son gouvernement préfèrent fermer les yeux sur les violences qui se déroulent dans l'État d'Arakan, en recourant aux mensonges et en rejetant la faute sur les victimes. Car il existe des preuves accablantes qui montrent que les forces de sécurité birmanes sont engagées dans une véritable campagne de nettoyage ethnique. Les militaires commencent par encercler un village rohingya, tirent sur les habitants qui fuient dans la panique, puis mettent le feu aux maisons. Ce sont des crimes contre l'humanité.
La lauréate du prix Nobel pratique la politique de l’autruche. Ne pas reconnaître les violences commises par l’armée birmane contre la minorité rohingya ne les fera pas disparaître comme par enchantement. Les condamner serait le minimum que j’aurais espéré d’elle.