Opinion Promenade birmane en Suisse

Opinion signée par Manon Schick, directrice d’Amnesty International Suisse, parue dans le 24 Heures, le 24 octobre 2017.
Alors qu’Amnesty publiait la semaine passée un rapport accusant l’armée du Myanmar de crimes contre l’humanité, la Suisse accueillait en parallèle visite une délégation de l’armée birmane. Une visite de politesse inacceptable, que les autorités suisses auraient eu meilleur temps de boycotter, estime Manon Schick.

La semaine dernière, une délégation de six généraux birmans est venue en Suisse pour un «voyage d’étude du fédéralisme». Ironie de l’histoire, le jour même de leur arrivée dans notre pays, Amnesty International publiait un rapport accusant l’armée birmane de crimes contre l’humanité commis à l’encontre des Rohingyas.

Les récits de témoins, les images satellite, les photos et vidéos recueillis par mes collègues aboutissent à la même conclusion: cette minorité ethnique est victime d'une attaque généralisée et systématique depuis le mois d’août. Les soldats et policiers birmans ont ouvert le feu sur des hommes, des femmes et des enfants qui fuyaient leur maison, faisant des centaines de morts ou de blessés graves, ils ont violé des femmes, mis le feu à des maisons où des personnes ont été brûlées vives.

Conséquence de ces crimes atroces: en l’espace d’à peine sept semaines, la moitié de la population rohingya, soit près de 600'000 personnes, a été déplacée de force au Bangladesh voisin, ce qui constitue l’une des plus graves crises humanitaires de ces dernières années. Et voilà que la communauté internationale réunie hier à Genève n’a plus d’autre choix que de passer à la caisse pour venir en aide aux réfugiés et éviter une situation encore plus dramatique.

Pendant ce temps, la Suisse accueille l’un des principaux responsables de cette situation, le chef de l’armée birmane et vice-commandant des forces de sécurité, Soe Win. Il est tout simplement impensable que cet homme ne soit pas au courant des exactions commises en ce moment par ses troupes au Myanmar. Il est même fort probable qu’il soit impliqué dans l’ordre donné aux soldats de lancer une opération de nettoyage ethnique contre les Rohingyas.

Cette visite est défendue par l’ambassadeur de Suisse au Myanmar comme l’opportunité d’un «dialogue ouvert et critique». Mais les autorités suisses auraient eu meilleur temps d’annuler cette visite, comme l’a fait l’Union européenne qui vient de suspendre toute coopération avec les militaires birmans. Il n’est plus temps aujourd’hui de poursuivre poliment des relations diplomatiques avec des responsables de crimes contre l’humanité!

Il aurait été au contraire souhaitable que la Suisse fasse preuve de courage et ferme la porte aux militaires birmans, en disant haut et fort qu’elle n’entretiendra plus aucun contact avec eux et ne leur fournira ni formation, ni assistance technique, tant qu’ils n’auront pas mis fin à ces attaques systématiques. On aurait aussi pu attendre de nos autorités qu’elles s’engagent publiquement pour un embargo total sur les armes à destination du Myanmar et en faveur de sanctions financières contre ces hauts responsables militaires. Occasion loupée.