Nadia Murad, lauréate du prix Nobel de la paix 2018. © Alexandros Michailidis / shutterstock.com
Nadia Murad, lauréate du prix Nobel de la paix 2018. © Alexandros Michailidis / shutterstock.com

Opinion Deux lauréats pour les droits des femmes

Opinion signée par Manon Schick, directrice de la Section suisse d’Amnesty International, parue dans le journal 24 Heures, le 09 octobre 2018.
Quelle joie de voir le prix Nobel de la paix récompenser cette année deux militants en faveur des droits des femmes! Deux parcours de vie différents, mais deux engagements pour la même cause: mettre fin aux violences sexuelles contre les femmes dans les zones de conflits.

Manon_Schick_2_copyright_Valérie-Chételat.jpg

Denis Mukwege est médecin en République démocratique du Congo. C’est une véritable star dans son pays et bien au-delà. Un film lui a été consacré, «L’homme qui répare les femmes». Car c’est bien à des «réparations» qu’il se consacre dans sa clinique de Bukavu, dans le Sud-Kivu: des interventions chirurgicales pour reconstruire les organes génitaux détruits par les viols d’une sauvagerie inouïe. Il permet ainsi aux femmes violées de retrouver une vie un tant soit peu normale, même si la majorité souffre encore longtemps, physiquement et psychiquement, des suites tragiques de ces crimes.

Nadia Murad est une survivante. Elle fait partie de la minorité yézidie en Irak, une communauté quasi inconnue, alors qu’il s’agit d’une des plus anciennes religions monothéistes de notre planète. Communauté inconnue jusqu’à ce jour d’août 2014, quand des combattants armés ont fait irruption dans le nord de l’Irak, ont tué les hommes et réduit les femmes à l’état d’esclaves sexuelles. Ce groupe armé est devenu tristement célèbre quand il s’est autoproclamé «Etat islamique». Après des mois de torture aux mains de Daech, Nadia Murad a pu s’échapper et a trouvé la force de témoigner.

Car il est terriblement difficile de dire qu’on a été réduite à l’état d’objet, vendu et violé. Qu’on a été privée de toute humanité. Les violences sexuelles ont toujours existé, dans tous les conflits, mais rares sont les survivantes qui en parlent. C’est pour cette raison qu’on désigne parfois ces viols comme «armes de guerre», car il s’agit de stratégies décidées par les chefs des groupes armés ou par les états-majors des armées régulières, dans l’objectif d’humilier les populations ennemies. Une arme silencieuse et bon marché, qui permet de déshumaniser les femmes et qui agit à long terme.

Dénoncer ces viols, c’est s’exposer à des représailles. Les organisations locales qui viennent en aide aux survivantes travaillent sous une pression extrême. Denis Mukwege lui-même est placé sous la protection de l’ONU en raison des menaces de mort régulières qu’il reçoit.

Le prix Nobel de la paix à ces deux militants exceptionnels permet de mettre en lumière les violences sexuelles subies par les femmes dans les conflits. Il faut travailler à des mesures urgentes pour y mettre un terme. La communauté internationale doit traduire en justice les auteurs de ces crimes odieux, et mieux soutenir les victimes. Elle doit surtout protéger les courageux défenseurs des droits des femmes qui leur viennent en aide.