Le père de Bota Kussaiyn d’origine kazakhe était retourné en Chine fin 2017 pour suivre un traitement médical, la jeune femme a ensuite appris que son père avait été envoyé dans un «camp de rééducation». © AI
Le père de Bota Kussaiyn d’origine kazakhe était retourné en Chine fin 2017 pour suivre un traitement médical, la jeune femme a ensuite appris que son père avait été envoyé dans un «camp de rééducation». © AI

Opinion L’internement forcé est toujours une réalité en Chine

Opinion signée par Manon Schick, directrice de la Section suisse d’Amnesty International, parue dans le journal 24 Heures, le 25 septembre 2018.
Bien que la Chine semble redevenue fréquentable, rien n'a changé. En effet, les centres de rééducation où l'on pratique le lavage de cerveau, la torture et la punition n'ont pas disparu, explique Manon Schick.

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La Chine semble redevenue fréquentable. Pendant des décennies, le régime totalitaire chinois fédérait contre lui l’ensemble des nations occidentales, qui n’hésitaient pas à dénoncer la répression massive contre les opposants ou l’écrasement dans le sang des manifestations de Tian’anmen. Aujourd’hui, l’entier de la planète déroule le tapis rouge au président Xi Jinping. Il faut dire que cet homme dirige un pays qui représente l’un des marchés les plus prometteurs au monde.

Et pourtant, rien n’a changé en Chine. Comme le montre le rapport publié par Amnesty International hier, les centres de rééducation où l’on pratique lavage de cerveau, torture et punition n’ont pas disparu. C’est notamment le cas dans la région autonome ouïghoure du Xinjiang, où près d’un million de personnes sont détenues arbitrairement, sans aucun contact avec leurs proches.

Depuis une année, la répression a augmenté. Sur la base d’un règlement de «lutte contre l’extrémisme», le gouvernement a intensifié sa campagne d'internement massif, de surveillance intrusive, d'endoctrinement politique et d'assimilation culturelle forcée contre les Ouïghours, les Kazakhs et d'autres groupes ethniques majoritairement musulmans de cette région.

Le port d'un voile ou d'un foulard, la prière régulière, le jeûne ou l’abstinence d'alcool, la possession de livres ou d'articles sur l'islam ou la culture ouïghoure peuvent être considérés comme «extrémistes» en vertu de ce règlement. Les suspects sont enfermés pendant de longs mois dans des camps que les autorités qualifient de «centres de transformation par l'éducation». Les personnes qui y sont envoyées ne sont pas jugées, n'ont pas accès à un avocat et n'ont pas le droit de contester la décision. Ce sont les autorités qui décident à quel moment un individu a été «rééduqué».

Depuis l’époque des camps de travaux forcés lors de la Révolution culturelle de Mao, la Chine n’a jamais vraiment aboli les camps d’internement, malgré les promesses faites à de nombreuses reprises par les autorités. Ils ont simplement été déplacés dans des régions périphériques ou renommés. L’objectif reste le même: terroriser des populations entières pour éviter qu’elles ne se rebellent.

La répression s’étend d’ailleurs également à l’extérieur de la Chine: les agents de sécurité chinois recrutent, parfois de manière agressive, des espions dans les communautés ouïghoures à l’étranger. Si des individus ne collaborent pas, leur famille restée au pays est victime de représailles et des proches sont emprisonnés.

Nos autorités feraient bien de s’en souvenir lorsqu’elles se rendent en Chine ou accueillent le président chinois en visite officielle: les sourires de façade masquent une réalité dramatique. Ne pas évoquer cette réalité ne suffit pas à la faire disparaître.