L’an dernier, je me suis rendue dans le camp de réfugié·e·s de Souda sur l’île de Chios en Grèce. J’y ai rencontré des dizaines de jeunes femmes syriennes dont l’espoir avait vacillé. Asma était encore mineure lorsqu’elle a foulé le sol européen, débarquant d’un bateau pneumatique bondé. La confusion et le chaos régnant sur l’île l’ont empêchée de voir sa demande de regroupement familial examinée à temps, qui aurait pu lui permettre de rejoindre son frère en Suisse. Les mois ont passé, Asma a eu 18 ans et Chronos a balayé la possibilité de rejoindre sa famille dans le canton de Zurich.
«Si tu as 18 ans, tu n’as plus le droit d’avoir une famille», m’a expliqué Saliha, une professeure d’anglais originaire d’Homs. «Après avoir traversé la guerre et enterré nos proches, la seule chose que nous voulons, c’est rejoindre les membres de notre famille qui sont encore vivants.»
Uniquement pour les réfugié·e·s
Les choses pourraient en partie changer. Le Tribunal administratif fédéral (TAF) vient de réviser sa jurisprudence en matière de regroupement familial. Jusqu’ici, les juges tenaient compte de l’âge du requérant, au moment de l’examen de sa demande. L’enfant qui devenait majeur en cours de procédure ne pouvait plus invoquer le droit à la vie familiale, garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) pour rejoindre ses parents en Suisse. Les juges devront désormais retenir l’âge à laquelle la requête a été formulée.
Il s’agit d’une avancée en matière de protection du droit à la famille en Suisse, même si son impact reste limité.
Bien que cette décision soit réjouissante, elle n’est pas suffisante. Elle facilitera uniquement le regroupement familial des personnes au bénéfice d’un statut de réfugié. Pour les personnes admises à titre provisoire, notamment certain·e·s réfugié·e·s humanitaires, la liste d’exigences est si stricte que très rares sont celles et ceux qui peuvent prétendre au regroupement familial. A cela s’ajoutent les exceptions liées aux accords de Dublin. Dans ces cas, l’âge des enfants restera secondaire.
Il faut cependant saluer le fait que le TAF se soit appuyé sur les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme pour réviser sa jurisprudence. Celle-ci place toujours en priorité la protection de la vie familiale, même lorsque les requérant·e·s ont atteint leur majorité en cours de procédure. Il s’agit d’une avancée en matière de protection du droit à la famille en Suisse, même si son impact reste limité.
Menace de l’UDC
Ce progrès est pourtant menacé par l’initiative de l’UDC «Le droit suisse au lieu des juges étrangers», sur laquelle nous nous prononcerons le 25 novembre. Si ce projet était accepté, la droite conservatrice pourrait restreindre encore davantage le droit à l’asile en introduisant des lois en contradiction avec la CEDH. Nos tribunaux ne seraient plus tenus de prendre en compte la jurisprudence de Strasbourg. Les personnes réfugiées se verraient alors priver de la protection déjà fragile dont elles bénéficient aujourd’hui dans notre pays, alors que les chiffres des demandes d’asile ont chuté de près de 20% entre juillet 2017 et juillet 2018.
Je n’ai pas de nouvelles d’Amsa. Les informations en provenance de Chios ne sont pas bonnes. Le camp de Souda a été fermé et ses habitant·e·s rapatrié·e·s vers le hotspot de Vial, un camp bien plus sécurisé, auquel les ONG n’ont pas accès. La dernière fois que je l’ai vue, elle errait amère sur cette île devenue prison. Difficile de dire si ce changement de jurisprudence aura un impact sur la vie d’Asma ou sur celle de centaines d’adolescent·e·s perdu·e·s dans les limbes des camps surpeuplés. Si nous voulons malgré tout permettre ne serait-ce qu’à une poignée de jeunes de garder espoir, nous devons voter non à l’initiative de l’UDC le 25 novembre.