Quelle émotion, samedi dernier, de revoir Idil Eser, ma collègue directrice d’Amnesty en Turquie, libre et déterminée! Je l’avais invitée à venir à notre conférence annuelle à Berne nous raconter ses quatre mois de détention, les accusations absurdes qui pèsent encore sur elle d’appartenance à trois groupes terroristes (!), et la situation désespérée dans laquelle se trouve la société civile turque.
Les trois cents membres d’Amnesty Suisse avaient les larmes aux yeux en écoutant cette femme grisonnante, pleine d’énergie et d’espoir malgré tout ce qu’elle a enduré. Idil a remercié les personnes qui ont fait pression sur les autorités turques pour obtenir sa libération et celle des autres défenseurs des droits humains arrêtés en même temps qu’elle: «Jamais nous ne serions sortis de prison sans cette impressionnante mobilisation.» Elle nous a exhortés à maintenir la pression pour faire libérer le président, Taner Kiliç, qui est détenu depuis onze mois pour des motifs tout aussi aberrants.
La société civile vibrante et dynamique que connaissait la Turquie il y a encore deux ans a été étouffée par l’état d’urgence décrété par le gouvernement. Ce pays est devenu la plus grande prison au monde pour les journalistes. Plus de 1300 associations ont été fermées et ne peuvent plus effectuer leur travail essentiel en faveur des victimes de violence sexuelle, des personnes déplacées ou des enfants.
Dans ce contexte tendu, «la Convention européenne des droits de l’homme représente aujourd'hui le dernier espoir pour de nombreuses personnes qui sont persécutées en Turquie bien qu’étant innocentes, la dernière garantie que la justice prévaudra malgré tout», a souligné Idil. La Cour de Strasbourg a notamment estimé le 20 mars dernier que les droits de deux journalistes détenus pendant vingt mois avaient été violés. Un arrêt qui condamne haut et fort le système judiciaire turc.
Ma collègue turque a appris avec inquiétude que la Suisse pourrait décider de quitter la Convention européenne des droits de l’homme, si jamais l’initiative dite «des juges étrangers» était acceptée par la population suisse lors de la votation qui aura probablement lieu en novembre prochain. «Cela serait un signal très négatif! Le gouvernement turc en profiterait pour quitter lui aussi cette convention. Nos droits seraient alors réduits à néant.»
J’ai promis à Idil que nous allions combattre cette initiative avec toute notre énergie. Pas seulement pour elle et pour les défenseurs des droits fondamentaux en Turquie, mais aussi pour défendre les droits de la population en Suisse. Car la Convention européenne garantit la protection de chaque citoyen, y compris les citoyens suisses, contre l’arbitraire. Nous allons la protéger, pour Idil et pour nous-mêmes.