Certes, on peut comprendre que le Bangladesh, l’un des pays les plus pauvres au monde, ne soit pas équipé pour faire face à un tel afflux de réfugiés et qu’il ne souhaite pas que les camps d’accueil des Rohingyas perdurent. Le problème est que la situation n’a pas changé au Myanmar: l’armée birmane y fait toujours régner un régime d’apartheid. Des centaines de milliers de Rohingyas continuent d’être confinés dans des camps sordides, ils ne peuvent pas circuler librement et ont un accès très limité aux écoles et aux hôpitaux. Les membres des forces de sécurité responsables d’atrocités massives n’ont pas encore eu à rendre des comptes.
De plus, la zone de l’Arakan, d’où sont originaires les Rohingyas, est un trou noir en matière d’information. Seules quelques agences de l’ONU et organisations internationales sont autorisées à travailler dans la région. L’accès des médias indépendants se limite à des visites étroitement contrôlées par le gouvernement. Impossible dans ce contexte de vérifier que le retour des réfugiés se déroule en toute sécurité.
Même si pour l’instant seules 2 260 personnes, dont 485 familles, font l’objet d’un examen par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés en vue de leur éventuel retour dans le cadre d’une première série de rapatriements, les réfugiés rohingyas sont terriblement inquiets.
Cette annonce de rapatriements a avivé la peur dans les camps, les réfugiés n’ont pas été consultés et on ignore s’ils ont accepté que leur nom figure sur la liste des candidats au rapatriement. Un Rohingya a tenté de se suicider après avoir appris que sa famille comptait parmi ceux qui doivent rentrer. D’autres Rohingyas qui figuraient semble-t-il sur cette liste seraient entrés dans la clandestinité ou prévoiraient d’entreprendre un dangereux périple en bateau pour gagner l’Asie du Sud-Est.
Ce sont les généraux de l’armée birmane qui sont les principaux responsables du nettoyage ethnique qui s’est déroulé il y a une année et qui a forcé des centaines de milliers de Rohingyas à fuir le Myanmar. Une offensive systématique et parfaitement orchestrée. La Cour pénale internationale examine si cette déportation constitue un crime contre l’humanité.
Pendant ce temps, Aung San Suu Kyi, dirigeante de facto du pays, refuse de condamner les crimes commis. Quelle déception de la part d’une lauréate du prix Nobel de la paix! C’est pour cette raison qu’Amnesty lui a retiré le prix «Ambassadrice de la conscience» que nous lui avions attribué en 2009.