Campagne d'Amnesty International contre l'initiative de l'UDC. © AI
Campagne d'Amnesty International contre l'initiative de l'UDC. © AI

Initiative dite «pour l’autodétermination» Protégeons nous-mêmes les droits humains

29 novembre 2018, par Patrick Walder et Julie Jeannet de la Section suisse d’Amnesty International
La campagne sur l’initiative dite «pour l’autodétermination» a soulevé des questions essentielles. Après ce rejet net, examinons certaines questions restées sans réponses, notamment la relation entre démocratie et droits humains et la dialectique entre autodétermination et mondialisation.

Alors que les organisations de défense des droits humains ont plutôt pour habitude de clouer au pilori les États responsables de violation des droits humains, cette campagne les a obligés à adopter une autre stratégie: expliciter le concept des droits humains, de façon simple et convaincante pour donner envie à la population de les protéger. Alors que la Déclaration universelle des droits de l’homme a soufflé ses septante bougies le 10 décembre, il est évident que cet idéal est aujourd’hui attaqué. Amnesty International s’est donné pour défi de rendre les droits humains plus proches et plus parlants pour la population. Mais que répondre à celles et ceux qui les perçoivent comme une menace pour notre souveraineté ou un dictat de hauts fonctionnaires déconnectés de leur réalité ?

Patrick Walder

La société civile, en s’engageant contre cette initiative qui menaçait les droits humains, a poussé l’UDC dans ses retranchements à affirmer son soutien aux droits humains. Le parti a même renié son intention de dénoncer la Convention européenne des droits de l’homme, alors qu’il en avait fait un argument lors de sa collecte de signatures en 2015. «Protégeons nous-mêmes nos droits humains. Protégeons la Suisse» publiait une section locale de l’UDC dans le quotidien 20 Minuten en Suisse alémanique. Il faut admettre qu’avec ce slogan nos adversaires frappent au bon endroit. Qui détermine ce que sont les droits humains ?

Démocratie et droits humains

L’initiative dite «pour l’autodétermination» a fait l’effet d’une bombe dans la relation complexe entre démocratie et droits humains. Si la démocratie est bien évidemment plus que la loi de la majorité, il est nécessaire de rappeler que les droits populaires, si chers aux initiants, vont de paire avec les droits fondamentaux. En 1848, les droits populaires participatifs (qui comprennent le droit d’initiative, de référendum et d’élection) ont été inscrits dans la Constitution fédérale en même temps que la séparation des pouvoirs, la protection des minorités et des libertés individuelles. La démocratie a besoin de tout cela. Abolir l’un pour renforcer l’autre est un non-sens. Il s’agit au contraire d’un équilibre fragile qu’il est essentiel de conserver.

 

L’initiative dite «pour l’autodétermination» a fait l’effet d’une bombe dans la relation complexe entre démocratie et droits humains.

Si Eleanor Roosevelt, l’initiatrice de la Déclaration universelle des droits de l’homme, et les autres membres du comité de rédaction étaient de grands visionnaires en 1948, les droits fondamentaux ne sont pas gravés dans le marbre. Si pendant des décennies, ceux-ci ont évolué grâce à de nouvelles conventions, n’oublions pas qu’ils pourraient également être défaits. S’ils ne doivent pas être l’apanage des élites, devons-nous pour autant les laisser être entièrement déterminés par la majorité ? Différents modèles politiques abordent cette question. La Constitution allemande écarte les droits humains du vote démocratique, les rendant ainsi pratiquement intouchables. Les questions relatives à leur application sont principalement déléguées aux tribunaux. En Suisse, les droits constitutionnels peuvent être modifiés par le biais d’initiatives populaires. Les électrices et électeurs sont consultés à propos du contenu des droits humains dans un processus politique. Quel modèle est le plus adéquat ? S’il serait souhaitable que les initiatives populaires soient examinées afin de s’assurer qu’elles respectent le droit international avant d’être soumises au peuple, qui aurait la légitimité pour le faire ? Les tribunaux internationaux et organisations internationales sont sans cesse dénigrés, considérés comme les instruments des élites.

 

Julie Jeannet © Benoît Jeannet

Autodétermination et mondialisation

L’initiative dite «pour l’autodétermination» a fait mouche en visant un second point sensible: le sentiment d’impuissance face à un monde de plus en plus globalisé. Le projet de loi rebondissait sur la frustration de voir la marge de manœuvre de la politique nationale de plus en plus restreinte face à la multiplication des enjeux transnationaux mis en route par la mondialisation. Ne nous voilons pas la face: la plupart des défis actuels, qu’ils soient écologiques, migratoires, économiques ou sociaux, nécessitent des solutions globales. L’isolement et le repli identitaire ont peu de chance d’accoucher de solutions durables. Mais le double échec des politiques nationales et internationales engendre une frustration légitime, dont se nourrissent les populistes et démagogues.

L’initiative était précisément présentée comme le remède du pouvoir populaire face à l’autorité croissante des élites. Difficile de ne pas y voir un parallèle avec les discours de Vladimir Poutine qui prétend que la Russie doit retrouver sa grandeur en reprenant le contrôle de sa justice. Avec sa campagne, l’UDC n’a rien inventé mais s’inscrit simplement dans le sillage des autocrates qui font depuis longtemps de la CEDH leur bouc émissaire. L’essor des droits humains est souvent associé à celui de la mondialisation néolibérale et ceux-ci sont tristement aujourd’hui dénigrés, parfois même considérés comme un vulgaire programme politique élitiste. Nous devons pourtant reconnaître que la tendance à voir d’importantes questions politiques négociées par diplomates et fonctionnaires des hautes sphères sans consultation démocratique est également problématique.

Nous ne pouvons abandonner la démocratie aux populistes, la politique aux technocrates et les droits humains aux tribunaux.

Nous ne pouvons abandonner la démocratie aux populistes, la politique aux technocrates et les droits humains aux tribunaux. Nous devons en effet «protéger nous-mêmes nos droits humains» mais pas de la façon dont le conçoit l’UDC. Ce dont nous avons besoin aujourd’hui ce sont des institutions nationales plus démocratiques et inclusives. Il s’agit d’un défi d’envergure à une époque où il est évident que si les dirigeants du monde se réunissaient, ils ne seraient plus en mesure d’adopter un texte aussi ambitieux que la Déclaration universelles des droits de l’homme. Il s’agit d’un héritage précieux auquel le peuple suisse est visiblement attaché. A l’occasion de son septantième anniversaire faisons des droits humains un concept populaire, un bouclier accessible à toutes et à tous pour se protéger contre l’arbitraire.