Opinion Responsabilité des entreprises: ne pas rater le train

Opinion signée Manon Schick, directrice d’Amnesty International Suisse, parue dans 24 Heures, le 27 mars 2018.
Alors que les États voisins commencent des discussions sérieuses au sujet de mesures législatives pour obliger les entreprises à respecter les droits humains, une fois encore, la Suisse rechigne à suivre le mouvement. Alors que notre pays compte le plus grand nombre de multinationales par habitant.

 Est-ce qu’une fois de plus la Suisse se retrouvera forcée d’adopter à la hâte des mesures pour se mettre en règle, comme cela a déjà été le cas après le scandale du blanchiment d’argent ou en raison de la pression liée au secret bancaire? Partout autour de nous, les États commencent des discussions sérieuses au sujet de mesures législatives pour obliger les entreprises à respecter les droits humains, mais une fois encore, notre pays rechigne à suivre le mouvement.

Dans sa prise de position sur l’initiative pour des multinationales responsables, soutenue par plus de 90 organisations des domaines de l’entraide, des droits humains, des droits des femmes, de la protection de l’environnement, des Eglises, mais aussi des syndicats et des associations d’actionnaires, le Conseil fédéral reconnaissait le problème, mais refusait des mesures contraignantes: certes la Suisse compte le plus grand nombre de multinationales par habitant, certes les violations des droits humains commises par leurs filiales défrayent parfois la chronique, mais il n’est pas nécessaire de légiférer. Circulez, il n’y a rien à voir.

En novembre dernier,  la Commission des affaires juridiques du Conseil des États a fait preuve de davantage de courage. Elle a soutenu l’idée d’un contre-projet indirect à notre initiative, reconnaissant ainsi non seulement l’existence d’un problème, mais aussi la nécessité de légiférer pour y remédier. Hélas, après un lobbying intensif mené par Economiesuisse, la commission sœur du Conseil national décidait en décembre de rejeter ce contre-projet, à une courte majorité.

Et ceci alors que l’une des plus grandes associations de l’économie suisse, le Groupement des entreprises multinationales (GEM, qui regroupe plus de 90 multinationales), ainsi que des entreprises notables telles que Migros ou Ikea, s’étaient prononcées en faveur d’un contre-projet indirect. Et au moment où les initiants se déclaraient prêts à envisager le retrait de l’initiative, dans le cadre d’une discussion constructive et d’un processus législatif solide. Un contre-projet par ailleurs soutenu par l’ancien représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU pour les droits de l'homme et les sociétés transnationales, John Ruggie.

Lors de sa prochaine séance en avril, la Commission des affaires juridiques du Conseil national se penchera sur une nouvelle proposition de contre-projet à l’initiative, dans le cadre de la révision du droit des sociétés, déposée par un parlementaire PDC. Bon nombre d’entreprises elles-mêmes se déclarent favorables à un contre-projet qui ancrerait dans la loi des mesures valables pour toutes les multinationales, puisqu’elles sont conscientes qu’une loi verra de toute façon le jour dans la décennie à venir. C’est le moment ou jamais pour nos autorités de ne pas rater le train en marche.