Opinion Turquie: halte à la mascarade!

Opinion signée par Manon Schick, directrice d’Amnesty International Suisse, parue dans 24 Heures, le 13 février 2018.
Taner Kiliç, président d'Amnesty Turquie, est en captivité depuis plus de huit mois sans raison valable. Selon l'ambassadeur de Turquie en Suisse, cet emprisonnement n'est pas lié à son activité au sein d'Amnesty International. Manon Schick dénonce la parodie de justice en cours.

Le président de la Section turque d’Amnesty, Taner Kiliç, est en prison depuis plus de huit mois, «mais cela n’a rien à voir avec son travail au sein d’Amnesty», prétendait l’ambassadeur de Turquie en Suisse, Ilhan Saygili, dans une interview parue dans 24 Heures vendredi dernier. Des propos qui ne font que confirmer ceux qu’il m’avait tenus lors d’un entretien accordé à notre organisation, en août 2017. À ce moment-là, non seulement le président mais également la directrice de la Section turque se trouvaient tous deux en détention.

Depuis l’arrestation de Taner, avocat, président d’Amnesty en Turquie et engagé dans notre organisation depuis des années, le discours des autorités turques n’évolue pas: Taner serait un terroriste et soutiendrait le prédicateur Gülen, il aurait téléchargé une application permettant d’envoyer des messages cryptés (du même genre que l’application WhatsApp).

Alors sans doute faut-il répéter haut et fort que le fait de télécharger une application n’est pas encore un acte de terrorisme. Et que deux expertises techniques du téléphone portable de Taner prouvent qu’il n’a jamais téléchargé l’application incriminée. Et enfin que la justice turque a déjà libéré des milliers de personnes arrêtées pour le même motif, reconnaissant que cette accusation ne tenait pas la route.

Il y a dix jours, Taner se présentait pour une nouvelle audience devant le tribunal. Ce jour-là, mes collègues et moi sommes passés par tous les états d’âme. Vers 15 heures, le juge annonçait la libération conditionnelle de Taner. Larmes de bonheur de sa femme et de leurs trois filles qui attendaient devant la prison, cris de joie dans les bureaux d’Amnesty partout à travers le monde. Quelques heures plus tard, c’était le désenchantement: nous apprenions que le procureur avait fait recours. Le lendemain, la même cour qui l’avait libéré décidait de le maintenir en détention, sans apporter aucun élément nouveau à son dossier.

Soyons clairs: ce n’est plus de la justice, c’est une mascarade. Continuer à prétendre que Taner est détenu sans que cela ne soit lié à son activité au sein d’Amnesty International, c’est tout simplement choquant. Le système judiciaire turc est sous pression et manque d’indépendance. Toute personne qui critique le gouvernement risque la prison.

Depuis la tentative de coup d’Etat en juillet 2016, 180 médias ainsi que des centaines d’ONG ont été fermés, 4 500 juges et procureurs limogés, plus de 50 000 personnes détenues sans jugement pour appartenance à une organisation terroriste. Plus de 140 000 personnes ont été destituées de leur fonction dont des universitaires, des maires et des parlementaires. Une dangereuse dérive vers l’autoritarisme, qu’il faut dénoncer pendant qu’il est encore temps.