Manifestation pour la libération de militants en faveur des droits des femmes en Arabie Saoudite, en octobre 2018 à La Haye, Pays-Bas. ©Pierre Crom
Manifestation pour la libération de militants en faveur des droits des femmes en Arabie Saoudite, en octobre 2018 à La Haye, Pays-Bas. ©Pierre Crom

Arabie Saoudite La réaction «nuancée» de la Suisse

Opinion signée Manon Schick, directrice d’Amnesty International Suisse, parue dans 24 Heures, le 19 novembre 2019.
Le «business as usual» peut reprendre avec l’Arabie Saoudite. Un an après l’indignation planétaire suscitée par l’assassinat du journaliste et critique du régime Jamal Khashoggi, et alors que les commanditaires de ce crime odieux n’ont toujours pas été traduits en justice, bon nombre d’autorités ont préféré tourner la page. Les pétrodollars n’ont pas d’odeur.

Manon Schick. © AI

C’est ainsi que le président de la Confédération, Ueli Maurer, est allé le mois passé rencontrer les autorités saoudiennes à Riyad, et s’est réjoui de «l’accueil très chaleureux», soulignant à son retour à quel point la réaction «nuancée et expliquée avec soin» de la Suisse face à cet assassinat avait été appréciée.

La réaction de la Suisse est si nuancée que notre pays n’a par exemple pas jugé bon de soutenir, à deux reprises cette année, des déclarations devant le Conseil des droits de l’homme de l’ONU à Genève visant à condamner la situation catastrophique des droits humains en Arabie Saoudite. Le chef du département fédéral des Affaires étrangères, Ignazio Cassis, justifie ce refus de signer une déclaration commune par l’engagement continu et substantiel de la Suisse sur les questions de droits humains dans ce pays du Moyen-Orient.

Tout est dans la nuance, donc. Une nuance dont les autorités saoudiennes, elles, ne semblent pas s’encombrer. La semaine dernière, l’agence saoudienne de sécurité de l’État a annoncé qu’elle classait le féminisme, l’athéisme et l’homosexualité dans la catégorie des idées extrémistes passibles de peines de prison et de flagellation. Une vidéo promotionnelle a même été produite pour faire passer le message. Cette décision relègue dans la catégorie «fake news» l’image réformiste que le prince héritier du royaume, Mohammed ben Salmane, continue de brandir sur la scène internationale.

Peut-être qu’Ueli Maurer accueillera chaleureusement cette décision de sanctionner le féminisme, l’athéisme et l’homosexualité. Peut-être que le Conseil fédéral décidera qu’il s’agit d’une affaire interne à l’Arabie Saoudite et que cela nuirait au commerce avec le royaume de condamner publiquement ces nouvelles atteintes à la liberté d’expression. Peut-être les autorités suisses réagiront-elles avec nuance, pour ne pas froisser un partenaire économique intéressant.

Pendant ce temps, trois militantes féministes qui s’étaient notamment engagées pour que les Saoudiennes aient enfin le droit de conduire sont, elles, derrière les barreaux et plusieurs autres vont être jugées pour leur engagement en faveur des droits des femmes. Avec sa décision de poursuivre le féminisme comme une idée extrémiste, le régime saoudien confirme sa dangereuse intolérance. Sans aucune nuance.