Or, certaines femmes qui dans la foulée de ce mouvement ont eu le courage de dénoncer les agressions qu’elles ont subies, se sont vues rappelées à l’ordre par des commentaires extraordinairement sexistes ! C’est le cas de la politicienne Céline Amaudruz qui, après avoir évoqué les comportements inappropriés de certains parlementaires, a subi la fronde à la fois grotesque et culpabilisante de certains caciques de son parti. À l’instar de Roger Köppel qui, rappelons-le, écrivait dans la Weltwoche: « Une femme politique, que je n'ai jamais vue autrement qu'en jupe courte ou en haut moulant, clame qu'elle ne prendrait jamais l'ascenseur avec certains messieurs. »
Des préjugés qui perdurent
Cette affaire est symptomatique de la réprobation et des préjugés que rencontrent les très nombreuses femmes qui subissent des agressions sexuelles dans notre pays, si elles décident de parler ou porter plainte. Dans ce climat, pas étonnant que la majorité d’entre elles y renonce.
Un sondage inédit mené en Suisse par l’institut gfs.bern sur mandat d’Amnesty International révèle que 22 pour cent des femmes (soit une femme sur cinq !) ont déjà été sexuellement agressées ;12 pour cent ont subi des viols. Or, la moitié des femmes interrogées ont gardé le silence après leur agression. Seules huit pour cent ont déposé plainte. Ces chiffres montrent que les violences sexuelles sont bien plus répandues que ce qu’indiquent les statistiques criminelles. Seulement 1’291 infractions liées à la violation de l'intégrité sexuelle ont été enregistrées par la police en 2018 (Statistique policière de la criminalité).
Les résultats de l’enquête mettent aussi en évidence le silence qui entoure ces agressions, à l’origine de l’impunité d’une majorité de leurs auteurs. Sans compter que seulement la moitié des prévenus en Suisse sont finalement reconnus coupables des faits dont ils sont accusés.
Le consentement, grand absent du code pénal
Une législation déficiente et non conforme à la Convention d’Istanbul pourtant entrée en vigueur en 2018 en Suisse, qui s’ancre sur des mythes et stéréotypes néfastes, alimente cet état de fait. Dans notre pays, le code pénal ne définit toujours pas le viol sur la base de l’absence de consentement : si aucun moyen de contrainte (menace, violence, pression) n’a été utilisé, l’acte n’est pas considéré comme une infraction pour viol, même si la victime a clairement dit non.
Cette définition ne correspond pas à tous les cas de viol et, par conséquent, certains cas ne peuvent être sanctionnés comme tel. De plus, une loi qui ne se base pas sur l’absence de consentement expose plus fortement les femmes aux violences sexuelles et alimente une culture de la culpabilisation des victimes. D’autant plus que persistent des stéréotypes tenaces dans la société et tout au long de la chaîne pénale : en fonction de son habillement, de son comportement ou de sa consommation d’alcool, la victime est considérée comme ayant « provoqué » ou « consenti » à l’agression.
Un agresseur connu
Autre mythe nuisible, celui d’un violeur inconnu de la victime et agissant de façon brutale. Or, dans plus de la moitié des cas, les femmes connaissent leur agresseur. Parce que c’est leur conjoint ou qu’elles ont d’abord flirté avec lui. Dans ces cas, leur plainte aura peu de chance d’aboutir.
Les théories féministes considèrent les agressions sexuelles comme l’expression de rapports hiérarchiques entre hommes et femmes. À regarder les femmes prendre la place qui leur revient dans nos parlements ou nos entreprises, à les voir incarner de nouvelles figures féminines, au cinéma, dans les séries, en littérature, plus fortes, plus indépendantes ou plus atypiques, on se dit que de nouveaux rapports sociaux entre les sexes semblent progressivement se dessiner. Le fait que les violences sexuelles se perpétuent encore et encore, révèle pourtant de façon criante combien la remise en question d’une société patriarcale demeure ardue et ténue.