Depuis 2017, la loi sur le devoir de vigilance impose aux entreprises comptant plus de 5’000 salariés en France ou plus de 10’000 salariés dans le monde un devoir de vigilance sur leurs actions et celles de leurs filiales et sous-traitants. Les entreprises peinent encore à délivrer des plans de mise en œuvre complets, mais la route est tracée.
Comme l’ont rappelé Dominique Potier (député à l’Assemblée nationale) et Michel Sapin (ancien Ministre de l’économie et des Finances), cette loi française n’aurait jamais été adoptée sans la mobilisation têtue de la société civile et l’engagement d’un cercle de parlementaires aux horizons très divers.
Forte mobilisation helvétique
En Suisse aussi la société civile et différents milieux se mobilisent: initiée il y a près de dix ans par sept organisations, la coalition pour des multinationales responsables compte maintenant plus de 110 organisations membres. Elle est soutenue par des milieux académiques, mais aussi par un Comité d’entrepreneurs et d’entrepreneuses soucieux que nos multinationales ne se rendent pas coupables d’abus dans le monde.
Dominique Potier a fait part des multiples résistances rencontrées en France, notamment de la part d’une partie de l’industrie. Celle-ci a brandi le spectre des délocalisations des entreprises, des pertes d’emploi et des menaces sur la place économique française. Ces mêmes arguments sont invoqués en Suisse par Economiesuisse et Swissholdings, qui sont partis en croisade contre notre initiative sans chercher à trouver des solutions constructives à un problème crucial et d’actualité.
Les lobbies économiques font pression
Le Conseil national s’est montré moins obtus en proposant un contre-projet indirect. Même s’il amoindrit l’initiative dans certains points importants (notamment en restreignant le nombre d’entreprises concernées et en limitant la portée de la responsabilité civile), ce contre-projet a néanmoins la prétention de trouver une solution rapide (grâce à une proposition législative) à un problème urgent: éviter que les multinationales suisses ne soient compromises dans des violations de droits humains et des dégâts à l’environnement. Sous la pression des lobbies économiques, le Conseil des États a refusé d’entrer en matière sur ce contre-projet.
Ce qui choque particulièrement en Suisse, c’est que les associations économiques évoquent le spectre d’une multitude de plaintes en cas d’adoption de notre initiative. C’est un affront aux victimes d’abus. Car même si des plaintes civiles seront possibles en Suisse, les obstacles de procédure (notamment les coûts et les preuves à amener par les victimes) seront nombreux. N’oublions pas non plus que les puissantes multinationales auront à leur disposition des bataillons d’avocats, face à des victimes souvent sans le sou et vivant dans la crainte de représailles.
Et comme l’a si bien rappelé à Paris l’avocat Pablo Fajordo, qui milite depuis plus de 25 ans pour que la multinationale Chevron-Texaco dédommage les victimes d’un désastre écologique et humain perpétré en Équateur, les multinationales ne reculent devant rien. Quand elles sont sommées par un État de dédommager les victimes, elles peuvent recourir à des arbitrages internationaux pour faire annuler les sentences!
Faire campagne contre les puissants lobbies économiques est un combat de David contre Goliath, mais à l’instar de la France, nous comptons sur notre obstination pour gagner.