© Sea Watch
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Criminalisation de la solidarité Sauver des vies, un «délit» passible de prison

Opinion signée Manon Schick, directrice d’Amnesty International Suisse, parue dans 24 Heures, le 7 juillet 2019.
La capitaine du bateau humanitaire Sea-Watch 3, Carola Rackete, risque jusqu’à dix ans de prison. Son délit? Avoir forcé le passage pour accoster à Lampedusa. Depuis 17 jours, 40 migrants secourus au large des côtes libyennes étaient bloqués sur son bateau, parce que les autorités italiennes lui refusaient l’accès à tous les ports italiens.

Manon Schick. © AI

Ce n’est pas la première fois que des humanitaires sont arrêtés pour avoir porté secours et contrevenu aux interdictions italiennes. Pia Klemp, capitaine des navires Iuventa et Sea-Watch 3, est jugée en Italie pour des soupçons d’aide et complicité d’immigration illégale. Elle encoure jusqu’à 20 ans de prison, accusée de complicité avec les passeurs. Dix personnes ayant travaillé à bord du Iuventa encourent la même peine. Ce navire revendique le sauvetage de 14 000 personnes en mer Méditerranée en 2016 et 2017.

Les autres gouvernements européens critiquent les autorités italiennes, mais ils criminalisent eux aussi la solidarité. Des militants ont notamment été traduits en justice en France, pour avoir dénoncé des policiers qui confisquaient les couvertures des migrants ou qui frappaient des bénévoles avec une matraque. D’autres ont été condamnés pour avoir recueilli chez elles des personnes qui se trouvaient dans la neige et dans le froid.

La Suisse n’est pas en reste: il y a deux semaines, un prêtre catholique à Zurich a été condamné à plus de 5000 francs d’amende pour avoir hébergé une femme sans-papiers qui souffrait d’un cancer et qui nécessitait un traitement à l’hôpital. Le pasteur Norbert Valley attend toujours la décision du tribunal de Neuchâtel: il est poursuivi pour avoir permis à un Togolais débouté de l’asile de dormir dans son église.

De nombreuses autres personnes ont été condamnées à des amendes pour avoir hébergé des personnes sans statut légal en Suisse, car notre législation interdit l’aide au séjour illégal. Et ceci même si ce soutien est désintéressé, simplement motivé par la compassion. Amnesty soutient une pétition demandant une révision de cette loi.

A l’heure où il n’y a jamais eu autant de réfugiés dans le monde – plus de 70 millions, selon le Haut-Commissariat aux réfugiés – s’en prendre aux personnes qui apportent une aide aux plus vulnérables est non seulement une aberration, mais cela porte atteinte à notre humanité à tous. Donner de la nourriture et un toit à des gens dans le besoin ne devrait pas être considéré comme un crime.

Triste époque que celle où un Premier ministre d’un pays européen se réjouit de l’arrestation d’une personne qui sauve des vies. Heureusement, des milliers de personnes ont témoigné leur solidarité en versant de l’argent pour permettre à l’ONG de poursuivre son travail, plus légitime et nécessaire que jamais.