Etonnamment, la Suisse n’a pas jugé utile de signer cette déclaration. Raison officielle invoquée par le porte-parole du Département fédéral des affaires étrangères: notre ministre Ignazio Cassis avait déjà évoqué le nom de Jamal Kashoggi dans son discours d’ouverture de la session du Conseil des droits de l’homme.
Une excuse pour le moins tirée par les cheveux, mais qui rappelle la déclaration de notre président lors du WEF à Davos: l’affaire Kashoggi est «réglée», les relations entre la Suisse et l’Arabie Saoudite vont à nouveau pouvoir se normaliser. Suite au tollé suscité par sa déclaration, Ueli Maurer avait par la suite dit que ses propos avaient été mal interprétés.
La Suisse semble donc franchir une nouvelle étape dans la normalisation des relations avec un État qui viole allégrement les droits fondamentaux. Pour rappel, l’Arabie Saoudite impose des restrictions sévères à la liberté d’expression et procède à des arrestations arbitraires et détention sans jugement de nombreux écrivains et défenseurs des droits humains, recourt toujours à la peine de mort par décapitation publique et discrimine massivement les femmes en leur interdisant de travailler, de voyager ou de se marier sans l’autorisation d’un tuteur masculin.
Quelque chose a changé dans la politique suisse, et hélas pas dans la bonne direction: il y a quatre ans, quand le jeune blogueur saoudien Raïf Badawi avait subi une peine de 50 coups de bâton en public (après sa condamnation à dix ans de prison et à 1000 coups de bâton), le Conseil fédéral avait réagi et demandé aux autorités saoudiennes de renoncer à la peine de flagellation. La Suisse était parmi les premiers États à s’insurger contre ce traitement barbare. La présidente du Conseil fédéral avait même accordé un entretien à l’épouse de Raïf, Ensaf Haidar, lors de sa venue en Suisse quelques mois plus tard, ce qui avait certainement eu l’heur de déplaire aux Saoudiens.
Aujourd’hui, la Suisse se tait sur la situation pourtant toujours aussi dramatique des droits humains en Arabie Saoudite. La défense des intérêts économiques passe avant celle des droits fondamentaux. Cela représente une perte évidente de crédibilité pour notre pays et surtout la remise en cause d’une institution telle que le Conseil des droits de l’homme, voulu et défendu par le gouvernement suisse.