Lors de l'Assemblée générale de 2015, les membres d'Amnesty Suisse ont réaffirmé leur soutien à l'Initiative pour la responsabilité des entreprises. ©AI
Lors de l'Assemblée générale de 2015, les membres d'Amnesty Suisse ont réaffirmé leur soutien à l'Initiative pour la responsabilité des entreprises. ©AI

Opinion Au-delà des urnes, la force de frappe de la société civile

Opinion signée Nadia Boehlen, porte-parole d'Amnesty International Suisse, parue dans Le Courrier et la Tribune de Genève, le 8 décembre 2020.
Bien qu’elle ait été balayée par les cantons, l’initiative pour des multinationales responsables a révélé la force de frappe de la société civile. Cette initiative, qui prévoyait la possibilité de plaintes civiles en Suisse pour des violations des droits humains et de dégâts à l’environnement que les multinationales (ou les entreprises qu’elles contrôlent directement) commettent à l’étranger, a convaincu une majorité (50,7%) de la population. Ce score historiquement élevé pour une initiative dite de solidarité internationale a placé l’exigence d’une responsabilité accrue des acteurs économiques au sommet de l’agenda politique suisse.

Le score de l’initiative atteste la vigueur d’une société civile capable de fonctionner comme levier de changement politique sur des thèmes de société fondamentaux. Que ce soit dans le cadre de mobilisations en faveur du climat, de l’égalité entre genres ou des droits des personnes LGBTI*, d’autres objets politiques portés par la société civile se reflètent désormais dans notre ordre institutionnel.

En témoignent les récents gains électoraux des Verts, le rejet en votation populaire de la loi fédérale sur la chasse ou l’adoption par le Parlement de celle sur le C02. En témoignent également la représentation accrue des femmes dans ce même Parlement, la demande que porte une partie d’entre elles en faveur d’une réforme de la loi pénale en matière de sexualité ou la décision prise par le Conseil des États la semaine passée pour une égalité devant la loi des couples de même sexe.

Au-delà du politique, les propositions de la société civile influent sur notre ordre juridique et questionnent notre architecture institutionnelle. Ainsi, l’action des militant·e·s du climat a introduit la notion de danger imminent en lien avec le réchauffement climatique devant les tribunaux. Et la votation sur les multinationales responsables repose avec acuité la question de la légitimité de la règle de la double majorité telle qu’elle fonctionne actuellement. Une double majorité qui donne un poids disproportionné aux petits cantons ruraux de Suisse centrale et orientale au dépend des villes, de la Suisse romande et… des causes progressistes.

Enfin, même si cela semble difficilement mesurable pour le moment, les combats qui mobilisent la société civile produisent des mutations culturelles. Les jeunes qui se sont révolté·e·s contre les formes traditionnelles d’autorité à la fin des années soixante ont initié de profonds bouleversements de valeurs et des réformes dont nous sommes les héritiers: lois sur la contraception et l’avortement, libération sexuelle, préoccupations écologiques, défense des consommateurs. Aujourd’hui, les grands mouvements de militance féministes, en faveur du climat ou d’entreprises aux pratiques d’affaires respectueuses s’agrègent et se renforcent les uns les autres pour œuvrer avec succès à une société plus juste, plus équitable, moins patriarcale.