Taner Kiliç, président honoraire d’Amnesty Turquie, devant le Tribunal d'Istanbul le 19 février 2020. © Amnesty International Turquie / Fırat Doğan
Taner Kiliç, président honoraire d’Amnesty Turquie, devant le Tribunal d'Istanbul le 19 février 2020. © Amnesty International Turquie / Fırat Doğan

Turquie Deux exemples de parodie de justice

Opinion signée Manon Schick, directrice d’Amnesty International Suisse, parue dans 24 Heures, le 25 février 2020.
La farce continue en Turquie. La semaine dernière, deux procès avaient lieu contre des défenseurs et défenseuses des droits humains, et notamment contre mes collègues Taner Kiliç et Idil Eser, le président honoraire et l’ex-directrice d’Amnesty International Turquie. Et à deux reprises, les accusations ont malheureusement été maintenues contre des personnes qui n’ont pourtant commis aucun délit.

Manon Schick. © AI Mardi dernier, une cour ordonnait tout d’abord l’acquittement d’Osman Kavala, un leader de la société civile turque qui était détenu de manière arbitraire depuis novembre 2017, après avoir participé à des manifestations pacifiques. Cris de joie devant le tribunal… mais quelques heures plus tard, la douche froide: sur la base de nouvelles accusations, la détention infondée d’Osman Kavala a été prolongée. Et une instruction a été ouverte contre les juges qui ont prononcé son acquittement!  

Mercredi dernier devait avoir lieu la dernière audience dans l’affaire des onze défenseurs et défenseuses des droits humains, dont les deux anciens dirigeants d’Amnesty International Turquie, qui se battent depuis plus de deux ans et demi contre des accusations forgées de toutes pièces d’«appartenance à un mouvement terroriste». Ils ont tous passé plusieurs mois en prison. Taner Kiliç, le président d’Amnesty Turquie, a été détenu durant quatorze mois.

Pendant l’audience, les accusés et leurs avocats ont complètement démonté les «preuves» retenues contre eux. Les autorités turques affirment notamment que Taner avait téléchargé une application de messagerie mobile sécurisée (ByLock) et l’avait utilisée pour communiquer avec le groupe d’accusés. Plusieurs rapports, y compris de la police turque, confirment que cette application n’a jamais été téléchargée sur son téléphone. Quant aux autres accusés, le procureur prétend qu’ils ont sciemment et volontairement apporté de l’aide à une organisation terroriste, alors qu’ils participaient à une formation sur le bien-être et la sécurité numérique.

Ces allégations prêteraient à sourire si les onze défenseurs des droits humains ne risquaient pas de passer jusqu’à quinze ans derrière les barreaux en cas de jugement de culpabilité. Au milieu de l’audience, le verdict attendu ce jour-là a finalement été ajourné. L’incertitude va perdurer encore jusqu’au 3 avril. Pour les accusés, c’est là un poids supplémentaire qui s’ajoute à l’injustice de leur inculpation. Il est pourtant évident que toutes et tous sont innocents.

Deux exemples dramatiques, à deux jours d’intervalle, de la manière dont les autorités turques agissent contre les militants: avec cruauté et intimidation, de façon à empêcher toute velléité de s’engager pour les droits fondamentaux dans le pays.