Le 27 février, la cour d’appel pénale du Texas a rejeté le dernier recours formé par l’équipe juridique d’Ivan Cantu pour la convaincre de surseoir à son exécution et d’examiner les nouveaux éléments du dossier. Soulignant que la requête indiquait que l’accusation avait présenté un «témoignage erroné et mensonger» lors du procès et que les avocats ayant défendu Ivan Cantu en première instance avaient fourni une assistance juridique insuffisante, cette instance a toutefois statué: «Nous avons examiné la requête et conclu que le requérant n’avait pas satisfait aux exigences de [la législation texane]», et «par conséquent, nous rejetons la requête [...] sans examiner sur le fond les arguments présentés». Le 27 février également, la cour fédérale d’appel du cinquième circuit a rejeté la demande des avocat·e·s d’Ivan Cantu en vue d’obtenir l’autorisation de déposer une requête en habeas corpus devant une cour fédérale de district. Les juges du cinquième circuit ont décrit cette tentative comme une «stratégie de dernière minute». L’équipe juridique d’Ivan Cantu n’a pas formé de recours devant la Cour suprême des États-Unis, estimant que cette dernière décision ne laissait aucune «voie viable à emprunter».
Le 27 février, le Comité des grâces et des libérations conditionnelles du Texas a voté à l’unanimité contre la recommandation d’une mesure de clémence ou d’un sursis de 120 jours que ses avocat·e·s avaient également demandé. Aux termes du système juridique du Texas, le gouverneur n’avait plus que le pouvoir de prononcer un sursis de 30 jours pour l’exécution. Parmi les personnes ayant appelé le gouverneur Greg Abbott à prononcer un sursis figurait le président du jury du procès de 2001 à l’issue duquel Ivan Cantu a été condamné à mort. Il a publié une tribune dans le quotidien texan Austin American-Statesman le 27 février 2024. Il a écrit que, ayant appris que le principal témoignage à charge entendu par le jury était erroné ou mensonger, il avait désormais «l’impression d’avoir été berné», et que «ce procès comportait une part d’invention et, à [son] avis, le processus d’enquête était incomplet». Dans ce texte, il se disait «partisan de la peine capitale» et «fier d’être texan et conservateur, soutenant fermement la direction prise par le gouverneur pour défendre les principes et libertés dont bénéficient les Texans». Il a appelé le gouverneur à lui «rendre le document signé de [sa] main confirmant la décision du jury, et à reporter l’exécution d’Ivan Cantu afin qu’un examen plus approfondi du dossier puisse être réalisé».
Le gouverneur n’ayant pas donné suite à ces appels, l’exécution a eu lieu comme prévu. Deux proches des victimes du meurtre y ont assisté. Lors de son ultime déclaration, Ivan Cantu s’est adressé aux familles des victimes. Il a déclaré qu’il voulait qu’elles sachent qu’il n’avait «jamais tué» les deux victimes. «Et si je l’avais fait, si je savais qui l’avait fait, vous auriez été les premières personnes à connaître les informations que j’aurais eues qui auraient pu contribuer à leur rendre justice», a-t-il ajouté. Il avait demandé qu’aucun témoin ne soit présent de son côté pour son exécution, mais il a été accompagné par sa conseillère spirituelle, Sœur Helen Prejean.
Le décès d’Ivan Cantu a été prononcé à 18h47, environ 21 minutes après le début de l’injection létale. Le procureur de district du comté de Collins, dont le parquet avait engagé les poursuites contre Ivan Cantu lors de son procès, a publié une déclaration saluant ainsi l’exécution: «La justice a enfin été rendue à l’encontre d’Ivan Cantu ce soir. J’adresse une prière aux familles, aux amis et aux proches des victimes pour leur souhaiter de ressentir une paix attendue depuis longtemps.»
Deux exécutions ont eu lieu aux États-Unis depuis le début de l’année, ce qui porte à 1'584 le nombre de personnes auxquelles les autorités de ce pays ont ôté la vie depuis que la Cour suprême fédérale a approuvé une nouvelle législation relative à la peine capitale en 1976, dont 587 au Texas. Le 25 janvier 2024, les autorités de l’Alabama ont procédé à la première exécution du pays par asphyxie à l’azote pour tuer Kenneth Smith, qu’elles avaient tenté en vain d’exécuter par injection létale en 2022. En Idaho, les autorités ont tenté d’exécuter un homme de 73 ans le 28 février 2024 au matin, mais cette exécution a été annulée, l’équipe chargée de l’injection létale n’ayant pas réussi à poser une perfusion intraveineuse malgré plusieurs tentatives. À l’issue de cet événement, le directeur de l’administration pénitentiaire a indiqué que les «prochaines étapes» seraient décidées dans les prochains jours. Il a expliqué que les initiatives en vue d’engager des expert·e·s chargés de «réaménager» la salle d’exécution afin de pouvoir opter pour le peloton d’exécution comme méthode alternative avaient échoué car les personnes contactées jusqu’à présent avait «exprimé leur réticence à travailler sur un projet lié aux exécutions».
Amnesty International s’oppose à la peine de mort dans tous les cas et en toutes circonstances, quelles que soient la nature du crime commis, la personnalité de son auteur ou la méthode d’exécution employée. L’organisation considère que la peine capitale viole le droit à la vie tel qu’il est proclamé par la Déclaration universelle des droits de l’homme et constitue le châtiment le plus cruel, inhumain et dégradant qui soit.
Aucune action complémentaire n’est requise. Un grand merci à toutes les personnes qui ont envoyé des appels.
Les informations de l'Action urgente originale du 30 janvier 2024:
Ivan Cantu, un homme hispanique de 50 ans, doit être exécuté au Texas le 28 février 2024. Il a été déclaré coupable et condamné à mort en 2001 pour un double meurtre commis en novembre 2000. Une enquête indépendante menée récemment a renforcé les doutes concernant la qualité de son assistance juridique lors de son procès et soulevé des questions quant à la fiabilité du principal témoignage à charge et des éléments matériels qui semblaient le corroborer. Les normes internationales interdisent d’exécuter toute personne dont la condamnation ne repose pas sur «des preuves claires et convaincantes ne laissant place à aucune autre interprétation des faits».
Ivan Cantu a été condamné à mort en octobre 2001 pour les meurtres de son cousin, J.M., et de la fiancée de celui-ci, A.K., tués à leur domicile dans le nord de Dallas, au Texas, en novembre 2000. Il a été déclaré coupable principalement sur la base du témoignage d’A.B., avec qui il était fiancé au moment des faits, ainsi que de pièces à conviction qui semblaient le corroborer. Le parquet avait soutenu au jury qu’il pouvait «le déclarer coupable rien que sur la base de ce témoignage», et lors de la confirmation du jugement en 2004, la cour d’appel pénale du Texas a considéré que ce «témoignage concernant les faits incriminait entièrement [Ivan Cantu] pour les meurtres et le cambriolage». Lors du contre-interrogatoire des témoins au procès, un inspecteur a déclaré que, au cours de l’enquête, la police avait reçu un témoignage anonyme indiquant que J.M., qui vendait des stupéfiants en grande quantité, devait une forte somme d’argent à un trafiquant de drogue rival au moment de sa mort. L’enquête de police s’était toutefois rapidement concentrée sur Ivan Cantu.
Pendant les préparatifs du procès, les avocats commis d’office défendant Ivan Cantu n’ont pas demandé qu’une personne soit chargée d’enquêter pour la défense, si bien qu’ils ont dû se contenter de questionner les témoins et d’examiner les éléments présentés par l’accusation au tribunal. Ils n’ont pas non plus sollicité de spécialistes des analyses ADN, de la balistique, des empreintes digitales et des traces de sang, ni même de médecin légiste, contrairement au parquet. Pour sa requête en habeas corpus, Ivan Cantu s’est vu attribuer un avocat qui ne l’a jamais rencontré pour aborder le dossier et qui a formé un recours sans en discuter avec lui, contestant la condamnation à mort mais pas la culpabilité. Cet avocat a fait valoir uniquement l’inefficacité de la défense lors de l’audience de détermination de la peine. La justice fédérale n’a donc pas examiné la question de l’inefficacité de la défense pendant la première phase du procès car elle n’a pas été examinée par les juridictions texanes. Le droit international dispose que toute personne passible de la peine de mort doit bénéficier d’une «assistance judiciaire appropriée à tous les stades de la procédure», qui doit aller «u-delà de [la protection] qui est accordée aux personnes qui ne sont pas passibles de la peine capitale».
Selon le témoignage d’A.B., tard dans la soirée du 3 novembre 2000, Ivan Cantu lui a dit qu’il allait tuer J.M. et A.K. et il est revenu une heure après avec des taches de sang sur son jean. Elle a indiqué avoir jeté le jean et les chaussettes d’Ivan Cantu dans la poubelle de la cuisine, et qu’ils s’étaient rendus plus tard sur la scène du crime pour chercher de la drogue et de l’argent, mais n’en avaient pas trouvé. Ils sont partis vers midi le 4 novembre pour rendre une visite qui était prévue à la mère et au beau-père d’A.B., en Arkansas, avant de rentrer le 7 novembre. Les corps des deux victimes ont été découverts dans l’après-midi du 4 novembre. Toutes deux avaient été tuées par balle. Le jean et les chaussettes ont été trouvés dans la poubelle de la cuisine lors d’une perquisition à l’appartement d’Ivan Cantu le 7 novembre, et des analyses ADN ont révélé que le sang provenait des victimes. Le 8 novembre, après l’arrestation d’Ivan Cantu, A.B. a appelé son beau-père en disant: «J’ai une trouille bleue qu’ils me tuent. Fais-moi sortir de là.» Elle est repartie en Arkansas par avion le jour même, a livré des déclarations incriminant Ivan Cantu aux autorités et a accepté de témoigner contre lui sous serment.
Une enquête menée par un détective privé au cours des quatre dernières années a jeté le doute sur le témoignage d’A.B., notamment en raison des éléments suivants qui ont été établis:
Peu après la découverte des corps le 4 novembre, des policiers se sont rendus à l’appartement d’Ivan Cantu. L’une d’eux a depuis déclaré que le jean et les chaussettes n’étaient pas dans la poubelle de la cuisine à ce moment-là, et qu’elle était «certaine qu’ils auraient été trouvés lors de la «fouille minutieuse» s’ils y avaient été. Au cours du procès, des enregistrements téléphoniques retenus comme éléments de preuve ont montré qu’un appel longue distance avait été passé depuis l’appartement d’Ivan Cantu ce soir-là après la perquisition, au moment où lui et A.B. se trouvaient à des centaines de kilomètres, en Arkansas. Le jean trouvé dans la poubelle, appartenant à Ivan Cantu selon A.B., était de taille américaine 34/32. Or, Ivan Cantu portait des pantalons de taille 30/30.
Le témoignage d’A.B. indiquait que, la nuit des meurtres, elle avait vu Ivan Cantu porter la montre Rolex de J.M. puis s’en débarrasser. En 2019, il s’est avéré que le frère d’A.K. avait pris la montre sur la scène du crime et l’avait donnée à la police, qui l’avait remise à la mère de J.M. peu de temps après.
A.B. a affirmé que, le soir du crime, Ivan Cantu l’avait demandée en mariage et lui avait offert une bague de fiançailles ornée d’un diamant, dont elle aurait appris par la suite qu’il l’avait prise sur la dépouille d’A.K. Selon elle, il avait repris la bague et l’avait jetée lorsqu’ils étaient rentrés à Dallas. Cette bague n’a jamais été retrouvée, mais des témoins ont depuis indiqué que le couple avait annoncé s’être fiancé et qu’A.B. portait une bague de fiançailles une semaine avant les meurtres.
A.B. a déclaré qu’Ivan Cantu s’était débarrassé d’une paire de bottes qu’elle avait portée pour aller sur la scène du crime, au cas où la police les utiliserait comme élément pour les relier au crime, mais les bottes ont été retrouvées dans la voiture d’Ivan Cantu après son arrestation.
Selon le témoignage d’A.B., les meurtres auraient eu lieu entre 23 h 30 et minuit le 3 novembre. Deux experts médicolégaux ont depuis établi que les victimes avaient probablement été tuées le lendemain matin. D’après un procès verbal de la police qui n’a pas été porté à la connaissance du jury lors du procès, un homme qui logeait chez J.M. et A.K. depuis plusieurs semaines avant les faits a déclaré après la découverte de leurs corps le 4 novembre: «Ils n’ont pas été tués hier soir, ils ont été tués aujourd’hui.»
Le frère d’A.B. a déclaré sous serment qu’avant le crime, Ivan Cantu lui avait confié avoir le projet de tuer J.M. et avait tenté de le recruter pour «faire le ménage» après le crime. Il est revenu sur son témoignage en 2022, en soulignant qu’il n’était pas un témoin crédible car il consommait des stupéfiants, qu’il était drogué quand il avait fait sa déposition et que cette conversation avec Ivan Cantu n’avait «jamais eu lieu». Seuls lui et A.B. ont attesté qu’Ivan Cantu possédait une arme à feu et ont identifié l’arme du crime comme la sienne.
Les garanties internationales pour la protection des droits des personnes passibles de la peine de mort disposent que cette peine «ne peut être infligée que lorsque la culpabilité repose sur des preuves claires et convaincantes ne laissant place à aucune autre interprétation des faits». Le Comité des droits de l’homme des Nations unies, mis en place aux termes du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ratifié par les États-Unis en 1992) pour surveiller l’application de ce traité, a déclaré: «Les États parties doivent [...] prendre toutes les mesures possibles pour éviter les condamnations injustifiées dans les affaires où l’accusé est passible de la peine de mort» Depuis 1976, 1 583 personnes ont été exécutées aux États-Unis, dont 586 au Texas. Amnesty International s’oppose catégoriquement à la peine de mort, en toutes circonstances.