Awa, morte en septembre 2007 à l’âge de vingt-six
Mariée à dix-sept ans, Awa* a accouché dans un CSPS en septembre 2007. C’était sa cinquième grossesse. Elle a ensuite été prise de vives douleurs au ventre. « Elle a été vue par une accoucheuse auxiliaire qui lui a prescrit des médicaments pour lesquels nous avons payé 11 250 francs CFA (environ 17 euros) », raconte une autre épouse du mari d’Awa. « Je ne sais pas de quels médicaments il s’agissait. » « Après avoir accouché d’un enfant mort-né, elle baignait dans son propre sang», se souvient une infirmière. « Nous avons procédé à un examen de l’utérus et elle a été mise en observation. Son mari s’y est opposé, en disant qu'il n'avait pas assez d'argent pour payer les médicaments.» Awa a donc été ramenée chez elle vers 16 heures.
Sa famille l’a de nouveau conduite au CSPS tôt le lendemain matin. Une ordonnance a été établie, mais les médicaments prescrits n’étaient pas disponibles au centre de santé et la famille a dû payer 5 750 francs CFA (environ 9 euros) pour se les procurer.
En début d’après-midi, vers 14 heures, l’infirmière a annoncé qu’ils ne pouvaient rien faire de plus pour Awa et que la jeune femme allait devoir être évacuée en ambulance vers l’hôpital universitaire de Ouagadougou. Le réservoir de l’ambulance était apparemment vide et le mari d’Awa a été de nouveau mis à contribution. Il a dit qu’il n’avait pas assez d’argent pour payer et l’infirmière a dû longuement parlementer avec lui pour qu’il accepte enfin de donner 5000 francs CFA (environ 7,50 euros) pour acheter de l’essence. L’ambulance a quitté le CSPS vers 16 heures 30 et est arrivée une heure plus tard à l’hôpital de Ouagadougou.
Comme il n’y avait pas de lit libre à son arrivée, Awa a dû s'allonger sur une natte posée sur le sol. Un lit s’est enfin libéré à 19 heures 30, mais Awa est morte quelques minutes plus tard. Le dossier médical conservé par l'hôpital fait état d’une infection puerpérale (consécutive à l'accouchement), d’éclampsie et d’une forme grave de paludisme.
Fatou, victime de violences domestiques parce qu’elle n’avait eu que des filles
Fatou* était mère de famille et tenait un petit commerce près de Bobo-Dioulasso. Ses rapports avec son mari étaient très tendus, car ce dernier lui reprochait de ne lui avoir donné que des filles. Sept fois enceinte, elle avait mis au monde cinq filles. Lors de la naissance de l’une d’entre elles, il y a quelques années, Fatou a demandé au personnel médical et aux femmes qui l’accompagnaient de ne pas révéler à son mari le sexe de l’enfant tant que son mari n’aurait pas payé la facture pour les soins. Lorsqu’il a appris qu’il venait d’avoir une fille, celui-ci est parti, très en colère. Il a par la suite pris une deuxième épouse, qui lui a donné un fils. Même si, en vertu du droit coutumier, la première épouse occupe la place la plus importante dans la famille, Fatou a été reléguée au second plan.
En 2007, Fatou s’est de nouveau trouvée enceinte. Elle avait quarante et un ans. L’échographie ayant révélé qu’elle attendait de nouveau une fille, ses conditions de vie dans son foyer ont encore empiré. « Son mari lui criait sans cesse dessus », a raconté l’une de ses amies à Amnesty International en mars 2009. «C’était devenu insupportable et elle a décidé de partir de chez elle et de venir se réfugier chez moi, à Ouagadougou. Le voyage en autocar a duré six heures et elle est arrivée le soir, épuisée et inquiète. »
Fatou est morte en couches, à l’hôpital universitaire de Ouagadougou.
Safiatou, morte en cherchant à atteindre le centre de santé le plus proche, après avoir accouché chez elle
Safiatou* avait vingt-six ans. Elle avait épousé son cousin Hamidou à l’âge de quatorze ans. Le jeune couple vivait dans un village situé à une centaine de kilomètres au sud de Ouagadougou où il vivait de l’élevage. Safiatou avait déjà quatre enfants lorsqu’elle est de nouveau tombée enceinte, en 2007. Selon un infirmier qui l’a vue en mai 2008, quelques jours avant l’accouchement, la jeune femme n’était pas venue aux consultations prénatales. Elle s’était contentée de se rendre au CSPS, à une douzaine de kilomètres de chez elle, à la fin de sa grossesse. Elle y était restée quarante-huit heures, parce qu’elle était très faible et souffrait d’anémie. Cet infirmier dit avoir insisté auprès de la jeune femme et de son mari pour qu’elle prenne du fer (fourni gratuitement) et pour qu’elle revienne accoucher au centre de santé.
La suite, le mari de Safiatou l’a racontée à Amnesty International : « Le jour de l’accouchement, elle allait bien et elle a travaillé tout l’après-midi, comme d’habitude, sans problème. Elle a préparé le tô [un plat traditionnel, à base de farine de maïs] pour les enfants et elle est allée chercher du foin pour les bêtes. Elle est partie chez sa mère dans la soirée quand les contractions ont commencé. Sa mère est venue me dire un peu plus tard qu’elle n’allait pas bien et qu'il fallait l'emmener au centre de santé. Je n’ai pas de moto. Il a fallu que j’aille en emprunter une. Ça nous a fait perdre du temps. Je ne savais pas qu’elle aurait dû aller accoucher au CSPS. Quand je suis allé la chercher chez sa mère,
elle avait déjà perdu connaissance. »
Hamidou a emprunté la mobylette d’un voisin, mais le réservoir était vide et la station d’essence la plus proche se trouvait à 10 kilomètres de là. Ils ont d’abord dû pousser l’engin jusqu’à la station. Safiatou a finalement accouché chez elle, mais le placenta n'a pas été expulsé et elle a été victime d’une forte hémorragie.
Son mari a demandé à un ami de l’aider à la conduire au CSPS, mais la jeune femme est morte en route, à quatre kilomètres du centre de santé. « Quand je suis arrivé, Safiatou délirait », a expliqué l’ami venu assister le couple. « Elle ne tenait plus sur ses pieds. Son mari avait peur de l’emmener sur ma moto. Nous l’avons donc mise entre nous sur la selle. Nous sommes partis à deux heures du matin. Il y a trois ravines à traverser pour aller au CSPS. À chaque fois, nous avons dû descendre de moto pour remonter après, et avec Safiatou ce n’était pas facile […] À un moment, nous nous sommes aperçus que Safiatou ne bougeait plus et nous avons compris qu’elle était morte. Nous ne sommes pas allés jusqu’au CSPS. Nous avons décidé de rentrer au village avec le corps, en prenant une route plus facile. »
Safiatou a laissé cinq petits garçons, le nouveau-né et ses frères âgés de onze, neuf, sept et quatre ans. Depuis le décès de leur mère, ils sont gardés dans la journée par leurs grands-parents maternels et rentrent dormir le soir chez leur père. Le père de Safiatou a été très affecté par la mort de sa fille. Les délégués d’Amnesty International ont appris que, depuis le drame, «il ne se lève plus, il ne dort plus et il ne mange presque plus ».
Sarata, morte en couches après avoir travaillé tout au long de sa grossesse
Sarata* vivait dans une zone rurale située non loin de Ouagadougou. Elle s’était mariée à l’âge de dix-sept ans. Elle avait eu quatre enfants, mais aucun n’a survécu au-delà de six mois. Elle s’est de nouveau retrouvée enceinte en 2006. Elle avait alors vingt-six ans et c’était sa cinquième grossesse en l’espace de neuf ans.
« Elle a travaillé jusqu’à la fin de sa grossesse », a expliqué l’une de ses amies à Amnesty International. «Elle aidait son mari à accomplir les travaux des champs, généralement dès 7 heures du matin. Mais avant cela, il fallait qu’elle prépare le petit-déjeuner, vers 6 heures. Quand elle rentrait des champs, aux alentours de 2 heures de l’après-midi, elle déjeunait, puis elle se reposait un peu, avant de repartir travailler la terre, jusqu’à 6 heures du soir. En dehors de la saison des pluies, elle vendait des crêpes sur le marché. Pendant sa grossesse, je lui disais de se reposer, mais elle me répondait qu’elle ne pouvait pas, qu’on allait se moquer d'elle parce qu'elle n'avait pas d'enfants. »
Sarata a travaillé jusqu’à son accouchement et elle n’a pas eu le temps d’aller au CSPS. Un soir, elle a commencé à avoir des douleurs et elle a accouché chez elle un peu plus tard, vers 4 heures du matin. Elle a été conduite en moto au CSPS, avant d’être transférée à l’hôpital universitaire de Ouagadougou, où l’on a diagnostiqué une infection puerpérale (infection survenant après l’accouchement, due à de
mauvaises conditions sanitaires), une forme grave de paludisme et une éclampsie. La jeune femme est décédée à son arrivée à l’hôpital, avant d’avoir pu être traitée.
* Prénom d'emprunt.