Côte d'Ivoire Des manifestants privés de soins médicaux

21 décembre 2010
Selon des témoins oculaires, des manifestants gravement blessés au cours des manifestations de masse ayant eu lieu jeudi 16 décembre dans la ville d’Abidjan, en Côte d’Ivoire, ont été privés de soins médicaux à la suite de menaces proférées par les forces de sécurité.

Selon certaines informations relayées par les médias, jusqu'à 30 personnes auraient été tuées le 16 décembre lorsque les forces de sécurité ivoiriennes ont ouvert le feu sur des manifestants non armés qui étaient descendus dans la rue dans le but de faire sortir le pays de l'impasse politique dans laquelle il est plongé depuis l’élection présidentielle contestée de dimanche 28 novembre. Des témoins ont affirmé à Amnesty International qu’ils avaient vu 10 personnes se faire tuer lors de ces affrontements.

«Amnesty International condamne sans équivoque ce comportement brutal et injustifié», a déclaré Salvatore Saguès, spécialiste de l’Afrique de l’Ouest à Amnesty International.

«Les forces de sécurité ivoiriennes continuent à se conduire de manière déplorable, faisant feu sur des manifestants non armés, les privant de soins médicaux et menaçant le personnel médical. Les responsables doivent rendre des comptes.»

Des membres du personnel médical du centre hospitalier universitaire (CHU) du secteur de Cocody, à Abidjan, ont dit à Amnesty International par téléphone que jeudi 16 décembre, à 10 heures du matin, la direction de l’hôpital leur a donné l’ordre de cesser de soigner les manifestants blessés.

À ce moment-là, six personnes gravement blessées attendaient qu’on leur prodigue des soins. L’état de deux d’entre elles requérait une procédure chirurgicale ; l'une avait une balle dans le dos, l’autre une fracture à la cuisse. Jeudi 16 décembre à 16 heures, elles n’avaient toujours pas été prises en charge, et Amnesty International n’a pas été en mesure d'établir si elles avaient ensuite pu bénéficier de soins médicaux.

Des professionnels de la santé en fuite

Jeudi 16, vers 11 h 30 du matin, des membres du personnel médical ont dit à Amnesty International que des gendarmes étaient arrivés à l’hôpital et avaient menacé plusieurs docteurs. Un grand nombre de professionnels de la santé ont fui et certains continuent à se cacher. D’après des témoins oculaires, d'autres gendarmes se sont présentés à l'hôpital avec un homme gravement blessé.

«Les gendarmes l’ont jeté sur un brancard qui a violemment heurté le mur. Nous n’étions pas autorisés à l’examiner. Quelques minutes plus tard, un médecin a vu qu’il était mort. Un parent du défunt a protesté et demandé aux gendarmes de l’épargner ; il a été frappé par les forces de sécurité et forcé à monter à bord d’un véhicule par les gendarmes, qui l’ont emmené vers une destination inconnue», a expliqué un témoin, qui ne peut être nommé pour des raisons de sécurité.

D’autres témoins ont dit à Amnesty International que des ambulances de la Croix-Rouge transportant à leur bord des manifestants blessés qu’elles amenaient au CHU n’ont pas été autorisées à y déposer les patients et ont été renvoyées.

Des membres du personnel médical du CHU ont expliqué qu’on leur avait donné l’instruction d’orienter les manifestants blessés vers l'hôpital militaire d’Abidjan. Un médecin, qui a demandé à ne pas être nommé, a dit à Amnesty International que le personnel médical a protesté en disant que cela équivalait à les envoyer à la mort.

«La privation de soins médicaux s’apparente à un châtiment cruel, inhumain et dégradant, et enfreint l'article 7 de la Constitution ivoirienne qui garantit aux citoyens l’égal accès à la santé, ainsi que l'article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, auquel la Côte d'Ivoire est partie», a ajouté Salvatore Saguès.

Mardi 14 décembre, Alassane Ouattara, que la communauté internationale reconnaît comme le vainqueur de l’élection présidentielle, a appelé ses sympathisants à manifester massivement dans la rue afin de prendre le contrôle de la radio et de la télévision publique ainsi que des bâtiments gouvernementaux, toujours aux mains de fonctionnaires loyaux au président Laurent Gbagbo qui, battu à l’élection, refuse de quitter le pouvoir.

Les tensions ne cessent de croître

Les forces de sécurité ivoiriennes ont lancé du gaz lacrymogène et tiré à balles réelles sur les manifestants descendus dans la rue jeudi 16 décembre. La situation est restée calme vendredi 17 décembre ; la plupart des habitants ne sont pas sortis de chez eux et la majorité des entreprises n’ont pas ouvert.

Le second tour de l’élection présidentielle en Côte d’Ivoire avait été reporté à cinq reprises depuis 2005. Cette élection avait fait naître pour beaucoup l’espoir de tourner le dos à la crise née de l’insurrection armée de septembre 2002, qui a abouti à la partition du pays. À la suite du scrutin du 28 novembre, les deux candidats se sont tous deux déclarés président et chacun a formé son gouvernement. Les tensions n’ont cessé de croître dans le pays depuis lors.