Nahibly Camp, en Côte d’Ivoire, quelques heures après sa destruction le 20 juillet 2012. © privé
Nahibly Camp, en Côte d’Ivoire, quelques heures après sa destruction le 20 juillet 2012. © privé

Côte d’Ivoire Représailles et répression sous prétexte de maintien de la sécurité

Les violations généralisées des droits humains perpétrées par les forces armées à l'encontre de partisans de l'ancien président Laurent Gbagbo compromettent la réconciliation en Côte d'Ivoire, écrit Amnesty International dans un rapport rendu public mardi 26 février 2013.

L'armée nationale, créée par le président Alassane Ouattara afin d'intégrer les forces loyales à l'ancien président au lendemain des violences postélectorales de 2010 qui avaient fait près de 3000 morts, était censée assurer «la sécurité des personnes et des biens sans distinction» et «être un puissant instrument de cohésion nationale».

Or, malgré les apparences, cette nouvelle armée nationale, accompagnée d'une milice armée composée de chasseurs traditionnels - les Dozos - se rend coupable d'exécutions extrajudiciaires, d'homicides délibérés et arbitraires, d'arrestations motivées par des considérations politiques et d'actes de torture. Elle jouit en outre d'une impunité quasi-totale sous le prétexte qu'elle assure la sécurité et lutte contre les auteurs d'agressions armées.

«La Côte d'Ivoire doit briser le cycle des abus et de l'impunité. Pas un seul membre de l'armée nationale n'a pour l'instant été amené à rendre des comptes pour ses agissements, ce qui constitue un échec total sur le plan de l'établissement de l'Etat de droit et affaiblit gravement le processus de réconciliation entamé en juillet 2011», a déploré Gaëtan Mootoo, chercheur d'Amnesty International sur l'Afrique de l'Ouest.

En septembre et octobre 2012, une délégation d'Amnesty International s'est rendue dans plusieurs lieux de détention, dont deux non officiels. Les délégués ont recueilli des témoignages de première main sur la manière dont les détenus, en grande partie incarcérés en raison de leurs affiliations politiques ou de leur appartenance ethnique, sont privés de liberté pendant des mois, sans pouvoir s'entretenir avec leur famille, ni consulter des avocats et des médecins.

Certaines familles n'ont appris où se trouvait un proche incarcéré qu'après en avoir été informées par la délégation d'Amnesty International. Des détenus et d'anciens détenus ont décrit comment on les avait torturés à l'électricité ou avec du plastique fondu afin de leur arracher des «aveux» sur leur participation présumée à des attaques armées. Deux personnes, au moins, sont mortes des suites d'actes de torture.

La délégation d'Amnesty International a été en mesure de rencontrer tous les proches et collaborateurs de Laurent Gbagbo incarcérés dans cinq centres de détention du centre et du nord du pays. Certains d'entre eux ont été soumis à des traitements inhumains et dégradants. Un homme a raconté à Amnesty International qu'il avait été détenu pendant 49 jours avec 27 autres personnes dans une cellule de 4 mètres carrés dépourvue de sanitaires. «Nous devions faire nos besoins dans des sacs. On ne nous donnait qu'un repas par jour, vers 14 ou 15 heures. Et nous n'avions droit qu'à un litre d'eau pour 48 heures.»

Amnesty International a relevé de graves irrégularités dans les enquêtes ouvertes sur ces cas; les autorités n'ont quasiment pris aucune mesure pour garantir des audiences équitables et ont gravement porté atteinte aux droits de la défense.

Attaque de Nahibly

Le rapport revient par ailleurs sur l'attaque et la destruction, en juillet 2012, d'un camp de personnes déplacées à l'intérieur du pays, principalement issues de l'ethnie guérée, qui est généralement considérée comme partisane de Laurent Gbagbo. Au moins 14 personnes ont trouvé la mort, et de nombreux autres corps ont, semble-t-il, été jetés dans des puits. Cette attaque a eu lieu à Nahibly (près de la ville de Duékoué) dans l'ouest de la Côte d'Ivoire. Elle a été menée par des Dozos - qui sont particulièrement actifs dans l'ouest - accompagnés de membres armés de la population locale et de militaires.

«Certaines des pires atteintes aux droits humains perpétrées dans le cadre du conflit de 2011 ont eu lieu à Duékoué, et il est consternant de voir les mêmes acteurs commettre les mêmes violations et abus contre les mêmes populations, deux ans plus tard», a poursuivi Gaëtan Mootoo».

Face aux manquements généralisés des autorités à leur devoir consistant à garantir justice et réparation, Amnesty International demande la création d'une commission internationale d'enquête sur cette attaque. L'organisation exhorte par ailleurs les autorités ivoiriennes à mettre fin aux violations des droits humains et autres abus que des représentants de l'État ou des milices soutenues par celui-ci continuent à commettre en toute impunité.

«Cela fait déjà trop longtemps que les Ivoiriens attendent que justice soit faite, a ajouté Gaëtan Mootoo. Si des mesures ne sont pas immédiatement adoptées afin de contrôler les forces de sécurité, la Côte d'Ivoire risque de connaître des crises politiques à répétition, et la réconciliation nationale ne sera plus qu'un lointain espoir déçu.»

Communiqué de presse publié le 26 février 2013, Abidjan, Lausanne.
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