Vous êtes la présidente de l’association Minority Women in Action (MWA) au Kenya. En quoi consiste-t-elle ?
A ses débuts, notre association voulait offrir un lieu de rencontre sûr pour les femmes lesbiennes, bisexuelles et les transgenres (LBT). Nous voulions leur donner la possibilité de partager leurs expériences et leurs difficultés, sans craindre d’être jugées ou rejetées.
Rapidement, nous nous sommes rendu compte que nous devions aller plus loin : du fait de leur isolement ou des discriminations qu’elles subissent, de nombreuses femmes LBT ont sombré dans la drogue et l’alcool. D’autres ont perdu leur emploi ou ont dû arrêter leurs études, et se retrouvent dans des situations très précaires. D’autres encore n’osent pas aller voir un médecin, de peur qu’on leur pose des questions sur leur sexualité. C’est pourquoi nous offrons un soutien médical, psychologique et financier aux femmes qui viennent nous voir.
Enfin, nous menons une action de prévention et d’information, pour sensibiliser le grand public. Il faut initier un dialogue ouvert sur la question LBT et mettre fin aux clichés. Par exemple, de nombreuses personnes considèrent encore l’homosexualité comme un choix personnel, et donc que les lesbiennes récoltent ce qu’elles ont semé. Une autre idée très répandue est que les LBT sont des pédophiles.
Vous parlez de rejet, de préjugés. L’attitude générale au Kenya est-elle donc hostile aux individus gays et LBT ?
Certaines histoires personnelles sont extrêmement dures, mais ne doivent pas faire oublier une nette tendance à l’amélioration. Il reste du travail à accomplir, mais nous avançons dans la bonne direction. Par exemple, notre code pénal criminalise encore l’homosexualité et les pratiques homosexuelles, mais cette loi est caduque, au même titre que celle qui autorise la peine capitale. Le fait d’invoquer ces lois provoquerait un tollé général au Kenya, car notre Constitution inclut de très fortes garanties contre les discriminations. La population est beaucoup plus ouverte aux droits gays et LBT qu’auparavant : Les Kenyans ne sont pas des moutons de Panurge et veulent se forger leur propre opinion, ce qui limite l’influence de groupes hostiles à notre cause.
Vous constatez donc une évolution positive au cours des dernières années.
Oui, c’est indéniable ! Par exemple, un militant de longue date pour les droits LBT, ouvertement homosexuel, est candidat au poste de sénateur. Il ne cache pas son orientation sexuelle, et pourtant il n’est pas en prison ! Notre gouvernement depuis quelques années a une politique très compréhensive, ce qui nous a permis de faire avancer de nombreux projets pour les droits LBT. De même, la position de l’Eglise a évolué d’une manière très positive.
Quelle est votre stratégie pour faire évoluer la situation des femmes LBT ?
Nous pensons que le changement doit se faire par le bas, au niveau des individus. Il est inutile de faire passer des lois progressistes si le grand public n’est pas prêt à les soutenir. Sinon, on court le risque d’un retour en arrière : ces avancements peuvent être remis en question ou restent lettre morte. Regardez l’Afrique du Sud : leur Constitution garantit de nombreux droits dont la majorité de la population n’est pas convaincue de l’utilité, ce qui empêche leur mise en œuvre. Pour éviter cela, nous favorisons la sensibilisation des individus, par exemple par des campagnes d’information. En temps voulu, ce sont eux-mêmes qui soutiendront et mettront en œuvre les réformes que nous espérons.
Vous êtes actuellement en visite en Suisse. Qu’attendez-vous de ce séjour ?
MWA travaille déjà en collaboration avec d’autres organisations gay et LBT en Afrique. Nous essayons à présent d’étendre notre réseau à l’Europe. Des Etats comme la Suisse, mais aussi la Norvège, la République Tchèque ou les Pays-Bas ont beaucoup à nous apprendre en matière de militantisme LBT. Ce que je souhaite, c’est établir un dialogue avec nos pairs, et que l’on puisse apprendre de nos expériences mutuelles. De plus, le Kenya passera en 2014 son examen périodique universel devant les Nations unies : une période opportune pour faire avancer notre cause. En me rendant à Genève, j’ai pu mieux comprendre le fonctionnement de cet examen, et observer comment les ONG suisses ont fait leur lobby. J’en ai tiré de précieuses leçons et des idées pour notre propre action au Kenya !