Le corps médical avait manifesté son soutien aux manifestant·e·s qui avaient subi la répression des forces de sécurité à la suite des élections présidentielles de 2024 © Alfredo Zuniga /AFP via Getty Images
Le corps médical avait manifesté son soutien aux manifestant·e·s qui avaient subi la répression des forces de sécurité à la suite des élections présidentielles de 2024 © Alfredo Zuniga /AFP via Getty Images

Mozambique Répression injustifiée : les manifestations de 2024 sous la loupe

Communiqué de presse du 16 avril 2025, Londres, Berne – Contact du service de presse
Amnesty International publie un rapport sur la répression généralisée des manifestations qui ont suivi les élections d'octobre 2024. Il en ressort que les forces de sécurité mozambicaines ont fait un usage inconsidéré et injustifié de la force, causant des homicides illégaux et des blessures graves.

Intitulé Manifestations sous pression : violations des droits humains lors de la répression qui a suivi les élections de 2024 [en anglais], ce rapport révèle que les forces de sécurité ont utilisé des armes létales, tiré des gaz lacrymogènes et des projectiles à impact cinétique (souvent appelés « balles en caoutchouc ») sur des manifestant·e·s et des passant·e·s, dont des enfants. En outre, les autorités ont procédé à des arrestations arbitraires massives et ciblé des journalistes, notamment en les intimidant et en confisquant leur matériel, tout en restreignant l'accès à Internet à des moments clés.

Les recherches d'Amnesty International s'appuient sur 105 vidéos et photos vérifiées, sur l'examen de renseignements obtenus à partir d’informations disponibles en libre accès et sur 28 entretiens, principalement avec des témoins et des victimes, réalisés entre octobre 2024 et janvier 2025. Les autorités mozambicaines n'ont pas encore répondu aux demandes de commentaires d'Amnesty International.

« La répression meurtrière imputable aux forces de sécurité mozambicaines est une réponse honteuse et excessive aux manifestations post-électorales », déclare Khanyo Farisè, directrice régionale adjointe pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe à Amnesty International. « Au lieu d'écouter les revendications de la population et de lui permettre d'exprimer ses préoccupations, le gouvernement dirigé par le Front de libération du Mozambique (FRELIMO) a déclenché une vague de violence contre les manifestant·e·s, qui a entraîné des blessures graves, des homicides illégaux et des violations des droits humains en cascade. »

«Nous avons constaté à maintes reprises que la police et l'armée mozambicaines font preuve d'un mépris total pour la sécurité des personnes lors des manifestations. Rien ne saurait justifier de recourir à la force de manière aussi imprudente et parfois mortelle.»
Khanyo Farisè, directrice régionale adjointe pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe à Amnesty International

« Si le nouveau gouvernement du président Daniel Chapo veut tourner la page, il doit mener des enquêtes approfondies et transparentes sur toutes les allégations de violations des droits humains commises dans le cadre de la répression, et amener les responsables présumés à rendre des comptes », ajoute Khanyo Farisè.

Des élections nationales se sont tenues au Mozambique le 9 octobre 2024. Peu après, le parti d’opposition PODEMOS et le candidat qu’il soutient, Venancio Mondlane, ont dénoncé des fraudes électorales en faveur du parti au pouvoir, le FRELIMO, et de son candidat Daniel Chapo. Des manifestations ont éclaté le 21 octobre et se sont propagées à travers le pays, jusqu’à l’investiture de Daniel Chapo, le 15 janvier 2025.

La société civile a fait état de plus de plus de 300 morts et plus de 3 000 blessé·e·s entre le 21 octobre et le 16 janvier. Le bilan de la police se monte pour sa part à 96 morts, dont 17 policier·ère·s lors des manifestations.

«Un mépris total pour la sécurité»

Les recherches d'Amnesty International ont confirmé de nombreux cas où les forces de sécurité ont tiré avec des fusils de type AK ou des armes de poing sur des manifestant·e·s, notamment le 12 décembre 2024 sur un blogueur qui diffusait une manifestation en direct, ou encore le 9 janvier 2025 sur une foule pacifique qui attendait le dirigeant de l'opposition, Venancio Mondlane, occasionnant trois morts.

L'usage inconsidéré de la force par les forces de sécurité a entraîné diverses blessures – fractures osseuses, hémorragies internes, lésions organiques, lésions thoraciques et problèmes respiratoires, y compris parmi des passants et des enfants âgés de seulement neuf ans. Certains souffrent de handicaps permanents, et ont dû subir une amputation ; trois personnes au moins ne peuvent plus marcher.

Par ailleurs, la police a tiré de manière indiscriminée et illégale des gaz lacrymogènes et des projectiles à impact cinétique, souvent sans avertissement et sans constat de violence généralisée de la part des manifestant·e·s.

Dans au moins deux cas, des gaz lacrymogènes ont été tirés directement sur des personnes, causant des blessures graves. La police a également tiré des gaz lacrymogènes sur des habitations – alors que leur utilisation dans des espaces confinés est interdite et extrêmement dangereuse – et des grenades lacrymogènes sur des journalistes clairement identifiables, provoquant des blessures.

Les forces de sécurité ont par ailleurs tiré des munitions à létalité réduite sur des personnes qui ne représentaient aucune menace pour la police ou les manifestant·e·s : elles ont tiré une balle dans la tête d’une personne depuis un véhicule en marche et ouvert le feu sur des manifestant·e·s agenouillés et les mains en l'air.

Lors d'une manifestation organisée le 27 novembre dans la capitale Maputo, des soldats à bord d'un véhicule de combat blindé ont heurté une femme à vive allure, la blessant grièvement, puis sont repartis sans ralentir, la laissant inerte sur le goudron.

Amnesty International a également appris que des manifestant·e·s et de passant·e·s, dont des enfants, ont été soumis à des arrestations arbitraires massives ainsi qu’à des actes de torture ou de mauvais traitements en détention.

« Nous avons constaté à maintes reprises que la police et l'armée mozambicaines font preuve d'un mépris total pour la sécurité des personnes lors des manifestations », déclare Khanyo Farisè. « Rien ne saurait justifier de recourir à la force de manière aussi imprudente et parfois mortelle. »

Il est temps que justice soit rendue

À ce jour, les victimes et les proches de victimes qui se sont entretenus avec Amnesty International n'ont pas obtenu justice pour les violations des droits humains commises à leur encontre.

Le 22 janvier 2025, le président Daniel Chapo a déclaré dans une interview aux médias que son gouvernement allait enquêter sur la situation et a reconnu les décès de citoyens et de policiers.

Le 4 février, le procureur général du Mozambique, Américo Julião Letela, a annoncé l’ouverture de 651 poursuites pénales et civiles en lien avec des décès, des blessures et des destructions de biens lors de manifestations, mais les autorités n'ont pas donné plus de détails.

D'autres affaires sont restées sans suite. Un homme battu en garde à vue a porté plainte contre la police mi-janvier, mais celle-ci n'a pas encore réagi. Amnesty International a confirmé que l'armée avait payé les factures d'hôpital de la femme renversée par un véhicule blindé, mais ne lui avait pas accordé d’indemnisation.

Entre-temps, Venancio Mondlane a assuré que le président Daniel Chapo avait accepté, lors d'une réunion, que l'État mozambicain prenne en charge les soins médicaux dispensés aux blessés, indemnise et apporte une aide psychologique aux familles des personnes tuées et gracie toutes les personnes arrêtées dans le cadre des manifestations. Toutefois, Venancio Mondlane n'a mentionné aucune poursuite potentielle contre les auteurs présumés, et le président n'a pas confirmé les déclarations du chef de file de l'opposition.

« Nous aimerions voir un engagement total de la part du président Daniel Chapo et de son gouvernement en faveur de la justice et de l’obligation de rendre des comptes pour les violations des droits humains », conclut Khanyo Farisè. « Dispenser des soins médicaux, indemniser et gracier sont des mesures essentielles ; toutefois, l'obligation de rendre des comptes exige que tous les auteurs présumés soient traduits en justice dans le cadre de procès équitables à l'issue d'enquêtes approfondies et transparentes. »