33 villageois·e·s ont été tués et cinq villages ont été incendiés dans la zone de gouvernement local de Numan (État d’Adamawa), bien que les forces de sécurité aient été prévenues 16 heures à l’avance.©Amnesty International
33 villageois·e·s ont été tués et cinq villages ont été incendiés dans la zone de gouvernement local de Numan (État d’Adamawa), bien que les forces de sécurité aient été prévenues 16 heures à l’avance. ©Amnesty International

Nigeria Escalade du conflit entre agriculteurs et éleveurs

Communiqué de presse publié le 17 décembre 2018, Londres/Genève. Contact du service de presse
Dans un nouveau rapport intitulé Harvest of Death: Three Years of Bloody Clashes Between Farmers and Herders, Amnesty International indique que le conflit sans fin entre agriculteurs sédentaires et éleveurs nomades au Nigéria a provoqué la mort de 3'641 personnes depuis 2016 dont plus de la moitié dette année.

Le fait que les autorités nigérianes ne diligentent pas d’enquête sur les affrontements intercommunautaires et ne traduisent pas les auteurs présumés en justice contribue à une escalade sanglante du conflit entre agriculteurs et éleveurs dans tout le pays, «L’État nigérian a fait preuve de ce qu’on ne peut qualifier que d’incompétence manifeste et n’a pas respecté son obligation de protéger la vie de ses citoyen·ne·s et de mettre un terme au conflit qui ne cesse de s’intensifier entre agriculteurs et éleveurs. La léthargie des autorités a permis à un climat d’impunité de s’installer et aux homicides de se répandre dans de nombreuses régions du pays, ce qui n’a fait qu’accroître les souffrances de populations qui vivent déjà dans la peur constante d’une attaque, a déclaré Osai Ojigho, directrice d’Amnesty International Nigeria.

«La léthargie des autorités a permis à un climat d’impunité de s’installer et aux homicides de se répandre dans de nombreuses régions du pays, ce qui n’a fait qu’accroître les souffrances de populations qui vivent déjà dans la peur constante d’une attaque.» - Osai Ojigh

«D’après nos recherches, ces attaques étaient bien planifiées et coordonnées, et les armes utilisées étaient notamment des mitrailleuses et des fusils AK-47. Mais les autorités n’ont pas pris de réelles mesures en matière de prévention, d’arrestations et de poursuites, même lorsqu’elles disposaient d’informations sur les auteurs présumés.»

Le rapport se fonde sur plus de 250 entretiens avec des victimes, des témoins, des dirigeant·e·s locaux, des professionnel·le·s de la santé, des dignitaires religieux et des représentant·e·s de l’État, y compris des membres des forces de sécurité. Les chercheurs et chercheuses ont analysé 230 documents, dont des dossiers médicaux et des rapports des forces de sécurité.

Dans tous les endroits où des représentant·e·s d’Amnesty International se sont rendus, les villageois·es ont expliqué qu’ils avaient tout perdu car leur logement avait été incendié et leurs réserves de nourriture, emportées par les assaillants. Depuis 2016, les deux parties au conflit sont de plus en plus déterminées à détruire les moyens d’existence de l’autre: les éleveurs mettent le feu à des exploitations et les agriculteurs volent du bétail.

«La cause profonde de ce conflit n’a rien à voir avec la religion ni l’appartenance ethnique, elle est principalement liée aux terres et à l’accès aux pâturages. Cependant, à certains endroits, la concurrence visant les ressources sert de prétexte pour tuer et mutiler des personnes selon leur groupe ethnique ou leur religion, ce qui est rendu possible par les défaillances des forces de sécurité. Par ailleurs, des représentant·e·s de l’État politisent dangereusement le conflit et exacerbent ainsi les tensions en rejetant la faute sur certains partis politiques», a déclaré Osai Ojigho.

Non intervention coupable des forces de sécurité

Les autorités nigérianes sont tenues de protéger le droit à la vie qui est inscrit dans les traités internationaux et africains relatifs aux droits humains. Or, les populations concernées ont indiqué à Amnesty International qu’elles avaient averti les forces de sécurité de l’imminence des attaques mais qu’aucune mesure n’avait été prise.

Le 2 mai 2018, 33 villageois·e·s ont été tués et cinq villages ont été incendiés dans la zone de gouvernement local de Numan (État d’Adamawa), bien que les forces de sécurité aient été prévenues 16 heures à l’avance que des tireurs avaient commencé à se rassembler à proximité.

Le 10 mars 2017, des habitant·e·s d’Agwada, d’Udege, de la zone de gouvernement local de Kokona et de la zone de développement de Loko (État de Nasarawa) ont écrit à l’inspecteur général de la police pour dénoncer les attaques «incessantes» lancées par des éleveurs. Ils ont indiqué à Amnesty International que la police leur avait demandé 150'000 nairas (environ 411 dollars des États-Unis) pour la «logistique», somme qui a été versée. Seuls trois policiers ont été envoyés et ont refusé de se rendre dans les villages, sous prétexte que les routes étaient mauvaises.

Amnesty International a fait part de ses constatations aux autorités et a demandé des informations au ministère de la Justice, à l’armée, à la police et aux gouvernements des États d’Adamawa, de Benue, d’Enugu, de Kaduna, du Plateau et de Taraba. Seul le gouvernement de l’État d’Enugu a répondu. Il a indiqué que cinq personnes étaient poursuivies pour l’homicide de 12 personnes dans le village de Nimbo (zone de gouvernement local d’Uzo-Uwani), qui avait été attaqué le 25 avril 2016.

«Il faut que les autorités enquêtent afin de déterminer les raisons du long délai de réaction des forces de sécurité, qui a abouti à un bilan humain extrêmement lourd.» - Osai Ojigh

«Il faut que les autorités enquêtent afin de déterminer les raisons du long délai de réaction des forces de sécurité, qui a abouti à un bilan humain extrêmement lourd. Dans ce cadre, la direction des forces de sécurité doit examiner de près le rôle de chaque commandant et les gouvernements des États concernés doivent fournir une indemnisation adéquate aux victimes du conflit, a déclaré Osai Ojigho.

«Il faut que les autorités nigérianes diligentent immédiatement une enquête indépendante, efficace et impartiale sur toutes les atteintes aux droits humains commises lors des affrontements entre agriculteurs et éleveurs, par des acteurs étatiques ou non. Les conclusions de cette enquête devront être rendues publiques et, lorsqu’il y aura suffisamment d’éléments de preuve recevables, les responsables présumés devront être poursuivis et jugés équitablement.»